Le Chemin Écriture du Spiritisme Chrétien.
Doctrine spirite - 1re partie. ©

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Revue spirite — Année XII — Janvier 1869.

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STATISTIQUE DU SPIRITISME.

1. — Un dénombrement exact des spirites serait chose impossible, comme nous l’avons déjà dit, par une raison très simple, c’est que le Spiritisme n’est ni une association, ni une congrégation ; ses adhérents ne sont inscrits sur aucun registre officiel. Il est bien reconnu qu’on n’en saurait évaluer le chiffre par le nombre et l’importance des sociétés, fréquentées seulement par une infime minorité. Le Spiritisme est une opinion qui n’exige aucune profession de foi, et peut s’étendre à tout ou partie des principes de la doctrine. Il suffit de sympathiser avec l’idée pour être spirite ; or, cette qualité n’étant  conférée par aucun acte matériel, et n’impliquant que des obligations morales, il n’existe aucune base fixe pour déterminer le nombre des adeptes avec précision. On ne peut l’estimer que d’une manière approximative par les relations et par le plus ou moins de facilité avec laquelle l’idée se propage. Ce nombre augmente chaque jour dans une proportion considérable : c’est un fait positif reconnu par les adversaires eux-mêmes ; l’opposition diminue, preuve évidente que l’idée rencontre de plus nombreuses sympathies.

On comprend, d’ailleurs, que ce n’est que par l’ensemble, et non sur l’état des localités considérées isolément, qu’on peut baser une appréciation ; il y a, dans chaque localité, des éléments plus ou moins favorables en raison de l’état particulier des esprits et aussi des résistances plus ou moins influentes qui s’y exercent ; mais cet état est variable, car telle localité qui s’était montrée réfractaire pendant plusieurs années, devient tout à coup un foyer. Lorsque les éléments d’appréciation auront acquis plus de précision, il sera possible de faire une carte teintée, sous le rapport de la diffusion des idées spirites, comme on en a fait pour l’instruction. En attendant, on peut affirmer, sans exagération, qu’en somme le nombre des adeptes a centuplé depuis dix ans, malgré les manœuvres employées pour étouffer l’idée, et contrairement aux prévisions de tous ceux qui s’étaient flattés de l’avoir enterrée. Ceci est un fait acquis, et dont il faut bien que les antagonistes prennent leur parti.

Nous ne parlons ici que de ceux qui acceptent le Spiritisme en connaissance de cause, après l’avoir étudié, et non de ceux, bien plus nombreux encore, chez lesquels ces idées sont à l’état d’intuition, et auxquels il ne manque que de pouvoir définir leurs croyances avec plus de précision et d’y donner un nom pour être spirites avoués. C’est un fait bien avéré que l’on constate chaque jour, depuis quelque temps surtout, que les idées spirites semblent innées chez une foule d’individus qui n’ont jamais entendu parler du Spiritisme ; on ne peut dire qu’ils aient subi une influence quelconque, ni suivi l’impulsion d’une coterie. Que les adversaires expliquent, s’ils le peuvent, ces pensées qui naissent en dehors et à côté du Spiritisme ! Ce ne serait certainement pas un système préconçu dans le cerveau d’un homme qui aurait pu produire un tel résultat ; il n’y a pas de preuve plus évidente que ces idées sont dans la nature, ni de meilleure garantie de leur vulgarisation dans l’avenir et de leur perpétuité. A ce point de vue on peut dire que les trois quarts au moins de la population de tous les pays possèdent le germe des croyances  spirites, puisqu’on les trouve chez ceux-mêmes qui y font de l’opposition. L’opposition, chez la plupart, vient de l’idée fausse qu’ils se font du Spiritisme ; ne le connaissant, en général, que par les ridicules tableaux qu’en a faits la critique malveillante ou intéressée à le décrier, ils récusent avec raison la qualité de spirite. Certes, si le Spiritisme ressemblait aux peintures grotesques qu’on en a faites, s’il se composait des croyances et des pratiques absurdes qu’on s’est plu à lui prêter, nous serions le premier à répudier le titre de spirite. Quand donc ces mêmes personnes sauront que la doctrine n’est autre que la coordination et le développement de leurs propres aspirations et de leurs pensées intimes, elles l’accepteront ; ce sont incontestablement des spirites futurs, mais, en attendant, nous ne les comprenons pas dans nos évaluations.

Si une statistique numérique est impossible, il en est une autre, plus instructive peut-être, et pour laquelle il existe des éléments que nous fournissent nos relations et notre correspondance ; c’est la proportion relative des Spirites suivant les professions, les positions sociales, les nationalités, les croyances religieuses, etc., en tenant compte de cette circonstance que certaines professions, comme les officiers ministériels, par exemple, sont en nombre limité, tandis que d’autres, comme les industriels et les rentiers, sont en nombre indéfini. Toute proportion gardée, on peut voir quelles sont les catégories où le Spiritisme a trouvé, jusqu’à ce jour, le plus d’adhérents. Dans quelques-unes, la proportion a pu être établie à tant pour cent avec assez de précision, sans toutefois prétendre qu’elle le soit avec une rigueur mathématique ; les autres catégories ont simplement été classées en raison du nombre d’adeptes qu’elles ont fourni, en commençant par celles qui en comptent le plus, ce dont la correspondance et les listes d’abonnés à la Revue peuvent donner les éléments. Le tableau ci-après est le résultat du relevé de plus de dix mille observations.

Nous constatons le fait, sans chercher ni discuter la cause de cette différence, ce qui pourrait, néanmoins, faire le sujet d’une étude intéressante.


2. PROPORTION RELATIVE DES SPIRITES.


I. Sous le rapport des nationalités. — Il n’existe, pour ainsi dire, aucun pays civilisé d’Europe et d’Amérique où il n’y ait des spirites. Celui où ils sont le plus nombreux, ce sont les États-Unis de  l’Amérique du Nord. Leur nombre y est évalué, par les uns, à quatre millions, ce qui est déjà beaucoup, et par d’autres à dix millions. Ce dernier chiffre est évidemment exagéré, car il comprendrait plus du tiers de la population, ce qui n’est pas probable. En Europe, le chiffre peut être évalué à un million, dans lequel la France figure pour environ six cent mille. On peut estimer le nombre des spirites du monde entier de six à sept millions. Quand il ne serait que de moitié, l’histoire n’offre aucun exemple d’une doctrine qui, en moins de quinze ans, ait réuni un pareil nombre d’adeptes disséminés sur toute la surface du globe. Si l’on y comprenait les spirites inconscients, c’est-à-dire ceux qui ne le sont que par intuition, et deviendront plus tard spirites de fait, en France seulement, on pourrait en compter plusieurs millions.

Au point de vue de la diffusion des idées spirites, et de la facilité avec laquelle elles sont acceptées, les principaux États de l’Europe peuvent être classés ainsi qu’il suit : 1º France. – 2º Italie. – 3º Espagne. – 4º Russie. – 5º Allemagne. – 6º Belgique. – 7º Angleterre. – 8º Suède et Danemark. – 9º Grèce. – 10º Suisse.


II. Sous le rapport du sexe ; sur 100 : hommes, 70 ; – femmes, 30.


III. Sous le rapport de l’âge ; de 30 à 70 ans, maximum ; – de 20 à 30, nombre moyen ; – de 70 à 80, minimum.


IV. Sous le rapport de l’instruction. Le degré d’instruction est très facile à apprécier par la correspondance ; sur 100 : instruction soignée, 30 ; – simples lettrés, 30 ; – instruction supérieure, 20 ; – demi-lettrés, 10 ; – illettrés, 6 ; – savants officiels, 4.


V. Sous le rapport des idées religieuses ; sur 100 : catholiques romains, libres penseurs, non attachés au dogme, 50 ; – catholiques grecs, 15 ; – juifs, 10 ; protestants libéraux, 10 ; catholiques attachés aux dogmes, 10 ; – protestants orthodoxes, 3 ; – musulmans, 2.


VI. Sous le rapport de la fortune ; sur 100 : médiocrité, 60 ; – fortunes moyennes, 20 ; – indigence, 15 ; – grandes fortunes, 5.


VII. Sous le rapport de l’état moral, abstraction faite de la fortune ; sur 100 : affligés, 60 ; – sans inquiétude, 30 ; – heureux du monde, 10 ; – sensualistes, 0.


VIII. Sous le rapport du rang social. Sans pouvoir établir aucune proportion dans cette catégorie, il est de notoriété que le  Spiritisme compte parmi ses adhérents : plusieurs souverain et princes régnants ; des membres de familles souveraines, et un grand nombre de personnages titrés.

En général, c’est dans les classes moyennes que le Spiritisme compte le plus d’adeptes ; en Russie, c’est à peu près exclusivement dans la noblesse et la haute aristocratie ; c’est en France qu’il s’est propagé le plus dans la petite bourgeoisie et la classe ouvrière.


IX. État militaire ; selon le grade : 1º lieutenants et sous-lieutenants ; – 2º sous-officiers ; – 3º capitaines ; – 4º colonels ; – 5º médecins et chirurgiens ; – 6º généraux ; – 7º gardes municipaux ; – 8º soldats de la garde ; – 9º soldats de la ligne.


Remarque. Les lieutenants et sous-lieutenants spirites sont presque tous en activité de service ; parmi les capitaines, il y en a environ la moitié en activité, et l’autre moitié en retraite ; les colonels, médecins, chirurgiens et généraux en retraite sont en majorité.


X. Marine : 1º marine militaire ; – 2º marine marchande.


XI. Profession libérales et fonctions diverses. Nous les avons groupées en dix catégories, classées selon la proportion des adhérents qu’elles ont fournis au Spiritisme.

1º  Médecins homéopathes. – Magnétistes. n

2º  Ingénieurs. – Instituteurs ; maîtres et maîtresses de pension. – Professeurs libres.

3º  Consuls. – Prêtres catholiques.

4º  Petits employés. – Musiciens. – Artistes lyriques. – Artistes dramatiques.

5º  Huissiers. – Commissaires de police.

6º  Médecins allopathes. – Hommes de lettres. – Étudiants.

7º  Magistrats. – Hauts fonctionnaires. – Professeurs officiels et des lycées. – Pasteurs protestants.

8º  Journalistes. – Artistes peintres. – Architectes. – Chirurgiens.

9º  Notaires. – Avocats. – Avoués. – Agents d’affaires.

10º Agents de change. – Banquiers.


XII. Professions industrielles, manuelles et commerciales, également groupées en dix catégories.

    Tailleurs d’habits. – Couturières.

2º  Mécaniciens. – Employés des chemins de fer.

3º  Ouvriers tisseurs. – Petits marchands – Concierges.

4º  Pharmaciens. – Photographes. – Horlogers. – Voyageurs de commerce.

5º  Cultivateurs. – Cordonniers.

6º  Boulangers. – Bouchers. - Charcutiers.

7º  Menuisiers. – Ouvriers typographes.

8º  Grands industriels et chefs d’établissement.

9º  Libraires. – Imprimeurs.

10º Peintres en bâtiments. – Maçons. – Serruriers. – Épiciers. – Domestiques.


3. De ce relevé, résultent les conséquences suivantes :


1º Qu’il y a des spirites à tous les degrés de l’échelle sociale ;

2º Qu’il y a plus d’hommes que de femmes spirites. Il est certain que, dans les familles divisées par leur croyance touchant le Spiritisme, il y a plus de maris contrecarrés par l’opposition de leurs femmes que de femmes par celle de leurs maris. Il n’est pas moins constant que, dans toutes les réunions spirites, les hommes sont en majorité.

C’est donc à tort que la critique a prétendu que la doctrine s’est principalement recrutée parmi les femmes à cause de leur penchant au merveilleux. C’est précisément, au contraire, ce penchant au merveilleux et au mysticisme qui les rend, en général, plus réfractaires que les hommes ; cette prédisposition leur fait accepter plus facilement la foi aveugle qui dispense de tout examen, tandis que le Spiritisme, n’admettant que la foi raisonnée, exige la réflexion et la déduction philosophique pour être bien compris, ce à quoi l’éducation étroite donnée aux femmes, les rend moins aptes que les hommes. Celles qui secouent le joug imposé à leur raison et à leur développement intellectuel, tombent souvent dans un excès contraire ; elles deviennent ce qu’elles appellent des femmes fortes, et sont d’une incrédulité plus tenace ;

3º Que la grande majorité des spirites se trouve parmi les gens éclairés et non parmi les ignorants. Partout le Spiritisme s’est propagé du haut en bas de l’échelle sociale, et nulle part il ne s’est développé en premier lieu dans les rangs inférieurs ;

4º Que l’affliction et le malheur prédisposent aux croyances spirites, par suite des consolations qu’elles procurent. C’est la raison pour laquelle, dans la plupart des catégories, la proportion des spirites est en raison de l’infériorité hiérarchique, parce que c’est là  qu’il y a le plus de besoins et de souffrances, tandis que les titulaires des positions supérieures appartiennent, en général, à la classe des satisfaits ; il faut en excepter l’état militaire où les simples soldats figurent en dernier ;

5º Que le Spiritisme trouve un plus facile accès parmi les incrédules en matières religieuses que parmi ceux qui ont une foi arrêtée ;

6º Enfin, qu’après les fanatiques, les plus réfractaires aux idées spirites sont les sensualistes et les gens dont toutes les pensées sont concentrées sur les possessions et les jouissances matérielles, à quelque classe qu’ils appartiennent, ce qui est indépendant du degré d’instruction.


4. — En résumé, le Spiritisme est accueilli comme un bienfait par ceux qu’il aide à supporter le fardeau de la vie, et il est repoussé ou dédaigné par ceux qu’il gênerait dans la jouissance de la vie. En partant de ce principe, on s’explique aisément le rang qu’occupent, dans ce tableau, certaines catégories d’individus, malgré les lumières qui sont une condition de leur position sociale. Par le caractère, les goûts, les habitudes, le genre de vie des personnes, on peut juger d’avance de leur aptitude à s’assimiler les idées Spirites. Chez quelques-uns, la résistance est une question d’amour-propre, qui suit presque toujours le degré du savoir ; quand ce savoir leur a fait conquérir une certaine position sociale qui les met en évidence, ils ne veulent pas convenir qu’ils ont pu se tromper et que d’autres peuvent avoir vu plus juste. Offrir des preuves à certaines gens, c’est leur offrir ce qu’ils redoutent le plus ; et de peur d’en rencontrer, ils se bouchent les yeux et les oreilles, préférant nier à priori et s’abriter derrière leur infaillibilité, dont ils sont bien convaincus, quoi qu’ils en disent.

On s’explique moins facilement la cause du rang qu’occupent, dans cette classification, certaines professions industrielles. On se demande, par exemple, pourquoi les tailleurs y occupent le premier rang, tandis que la librairie et l’imprimerie, professions bien plus intellectuelles, sont presque au dernier. C’est un fait constaté depuis longtemps et dont nous ne nous sommes pas encore rendu compte.

Si, dans le relevé ci-dessus, au lieu de ne comprendre que les spirites de fait, on eût considéré les spirites inconscients, ceux en qui ces idées sont à l’état d’intuition et qui font du Spiritisme sans le savoir, plusieurs catégories auraient certainement été classées différemment ; les littérateurs, par exemple, les poètes, les artistes, en un mot, tous les hommes d’imagination et d’inspiration, les croyants  de tous les cultes seraient, sans nul doute, au premier rang. Certains peuples, chez lesquels les croyances spirites sont en quelque sorte innées, occuperaient aussi une autre place. C’est pourquoi cette classification ne saurait être absolue, et se modifiera avec le temps.

Les médecins homéopathes sont en tête des professions libérales, parce qu’en effet, c’est celle qui, proportion gardée, compte dans ses rangs le plus grand nombre d’adhérents au Spiritisme ; sur cent médecins spirites, il y a au moins quatre-vingts homéopathes. Cela tient à ce que le principe même de leur médication les conduit au spiritualisme ; aussi les matérialistes sont-ils très rares parmi eux, si même il y en a, tandis qu’ils sont nombreux chez les allopathes. Mieux que ces derniers ils ont compris le Spiritisme, parce qu’ils ont trouvé dans les propriétés physiologiques du périsprit, uni au principe matériel et au principe spirituel, la raison d’être de leur système. Par le même motif, les spirites ont pu, mieux que d’autres, se rendre compte des effets de ce mode de traitement. Sans être exclusifs à l’endroit de l’homéopathie, et sans rejeter l’allopathie, ils en ont compris la rationalité, et l’ont soutenue contre des attaques injustes. Les homéopathes, trouvant de nouveaux défenseurs dans les spirites, n’ont pas eu la maladresse de leur jeter la pierre.

Si les magnétistes figurent au premier rang, toutefois après les homéopathes, malgré l’opposition persistante et souvent acerbe de quelques-uns, c’est que les opposants ne forme  n qu’une très petite minorité auprès de la masse de ceux qui sont, on peut le dire, spirites d’intuition. Le magnétisme et le Spiritisme sont, en effet, deux sciences jumelles, qui se complètent et s’expliquent l’une par l’autre, et dont celle des deux qui ne veut pas s’immobiliser, ne peut arriver à son complément sans s’appuyer sur sa congénère ; isolées l’une de l’autre, elles s’arrêtent dans une impasse ; elles sont réciproquement comme la physique et la chimie, l’anatomie et la physiologie. La plupart des magnétistes comprennent tellement par intuition le rapport intime qui doit exister entre les deux choses, qu’ils se prévalent généralement de leurs connaissances en magnétisme, comme moyen d’introduction auprès des spirites.

De tout temps, les magnétistes ont été divisés en deux camps : les spiritualistes et les fluidistes ; ces derniers, de beaucoup les moins nombreux, faisant tout au moins abstraction du principe spirituel, lorsqu’ils ne le nient pas absolument, rapportent tout à l’action du fluide matériel ; ils sont, par conséquent, en opposition  de principe avec les spirites. Or, il est à remarquer que, si tous les magnétistes ne sont pas spirites, tous les spirites, sans exception, admettent le magnétisme. En toutes circonstances, ils s’en sont faits les défenseurs et les soutiens. Ils ont donc dû s’étonner de trouver des adversaires plus ou moins malveillants dans ceux-mêmes dont ils venaient renforcer les rangs ; qui, après avoir été, pendant plus d’un demi-siècle en butte aux attaques, aux railleries et aux persécutions de toutes sortes, jettent, à leur tour, la pierre, les sarcasmes et souvent l’injure aux auxiliaires qui leur arrivent, et commencent à peser dans la balance par leur nombre.

Du reste, comme nous l’avons dit, cette opposition est loin d’être générale, bien au contraire ; on peut affirmer, sans s’écarter de la vérité, qu’elle n’est pas dans la proportion de plus de 2 à 3 p. cent sur la totalité des magnétistes ; elle est beaucoup moindre encore parmi ceux de la province et de l’étranger que de Paris.  † 


[Revue de février.]

5. STATISTIQUE DU SPIRITISME.


Appréciation par le journal la Solidarité n

Le journal la Solidarité, du 15 janvier 1869, analyse la statistique du Spiritisme que nous avons publiée dans notre précédent numéro ; s’il en critique quelques chiffres, nous sommes heureux de son adhésion à l’ensemble du travail qu’il apprécie en ces termes :

« Nous regrettons de ne pouvoir reproduire, faute d’espace, les réflexions très sages dont M. Allan Kardec fait suivre cette statistique. Nous nous bornerons à constater avec lui qu’il y a des spirites à tous les degrés de l’échelle sociale ; que la grande majorité des spirites se trouve parmi les gens éclairés et non parmi les ignorants ; que le Spiritisme s’est propagé partout du haut en bas de l’échelle sociale ; que l’affliction et le malheur sont les grands recruteurs du Spiritisme, par suite des consolations et des espérances qu’il donne à ceux qui pleurent et regrettent ; que le Spiritisme trouve un plus facile accès parmi les incrédules en matières religieuses que parmi les gens qui ont une foi arrêtée ; enfin, qu’après les fanatiques, les plus réfractaires aux idées spirites sont les gens dont toutes les pensées sont concentrées sur les possessions et les jouissances matérielles, quelle que soit, d’ailleurs, leur condition. »

C’est un fait d’une importance capitale qu’il soit constaté que, partout, « la grande majorité des spirites se trouve parmi les gens éclairés et non parmi les ignorants. » En présence de ce fait matériel, que devient l’accusation de stupidité, ignorance, folie, ineptie, jetée si étourdiment contre les spirites par la malveillance ?

Le Spiritisme se propageant du haut en bas de l’échelle, prouve  en outre que les classes favorisées comprennent son influence moralisatrice sur les masses, puisqu’elles s’efforcent de l’y faire pénétrer. C’est qu’en effet, les exemples que l’on a sous les yeux, quoique partiels et encore isolés, démontrent d’une manière péremptoire que l’esprit du prolétariat serait tout autre s’il étant imbu des principes de la doctrine spirite.

La principale objection de la Solidarité, et elle est très sérieuse, porte sur le nombre des spirites du monde entier. Voici ce qu’elle dit à ce sujet :


« La Revue spirite se trompe de beaucoup lorsqu’elle n’estime qu’à six ou sept millions le nombre des spirites pour le monde entier. Elle oublie évidemment de compter l’Asie.

« Si par le terme spirite on entend les personnes qui croient à la vie d’outre-tombe et aux rapports des vivants avec l’âme des personnes mortes, c’est par centaines de millions qu’il faut les compter. La croyance aux Esprits existe chez tous les sectateurs du bouddhisme, et l’on peut dire qu’elle fait le fond de toutes les religions de l’extrême Orient. Elle est surtout générale en Chine. Les trois anciennes sectes qui depuis si longtemps se partagent les populations dans l’empire du Milieu, croient aux mânes, aux Esprits, et en professent le culte. — On peut même dire que c’est là pour elles un terrain commun. Les adorateurs du Tao et de Fo s’y rencontrent avec les sectateurs du philosophe Koung-fou-tseu.

« Les prêtres de la secte de Lao-Tseu, et particulièrement les Tao-Tse, ou docteurs de la Raison, doivent aux pratiques spirites, une grande partie de leur influence sur les populations. — Ces religieux interrogent les Esprits et obtiennent des réponses écrites qui n’ont ni plus ni moins de valeur que celles de nos médiums. Ce sont des conseils et des avis regardés comme étant donnés aux vivants par l’Esprit d’un mort ; il s’y trouve des révélations de secrets connus uniquement de la personne qui interroge, quelquefois des prédictions qui se réalisent ou ne se réalisent pas, mais qui sont de nature à frapper les auditeurs et à flatter assez leurs désirs pour qu’ils se chargent d’accomplir eux-mêmes l’oracle.

« Ces correspondances s’obtiennent par des procédés qui ne diffèrent pas beaucoup de ceux de nos spirites, mais qui cependant doivent être plus perfectionnés si l’on considère la longue expérience des opérateurs qui les pratiquent traditionnellement.

« Voici comment ils nous ont été décrits par un témoin oculaire,  M. D…, qui habite la Chine depuis longtemps et qui est familier avec la langue du pays.

« Une tige de pêcher, longue de 50 à 60 centimètres, est maintenue à ses deux extrémités par deux personnes, dont l’une est le médium et l’autre l’interrogateur. Au milieu de cette tige, on a eu soin de sceller ou d’attacher une petite baguette de même bois, assez semblable à un crayon pour la longueur et la grosseur. Au-dessous de ce petit appareil, se trouve répandue une couche de sable, ou une boîte contenant du millet. La baguette, en se promenant machinalement sur ce sable ou sur ces graines, trace des caractères. Ces caractères, à mesure qu’ils se forment, sont lus et reproduits immédiatement sur le papier par un lettré présent à la séance. Il en résulte des phrases et des écrits plus ou moins longs, plus ou moins intéressants, mais ayant toujours une valeur logique.

« Si l’on en croit les Tao-Tse, ces procédés leur viennent de Lao-Tseu lui-même. Or si, d’après l’histoire, Lao-Tseu vécut au sixième siècle avant Jésus-Christ, il est bon de rappeler que, d’après la légende, il est comme le Verbe des chrétiens, antérieur au commencement et contemporain de la grande non-entité, comme s’expriment les docteurs de la Raison.

« On voit que le Spiritisme remonte à une assez jolie antiquité.

« Cela ne prouve pas qu’il soit vrai ? — Non, sans doute, mais, s’il suffit à une croyance d’être ancienne pour être vénérable, et d’être forte par le nombre de ses partisans pour être respectée, je n’en connais pas qui ait plus de titres au respect et à la vénération de mes contemporains. »


6. — Il va sans dire que nous adhérons complètement à cette rectification, et nous sommes heureux qu’elle émane d’une source étrangère, parce que cela prouve que nous n’avons pas cherché à enfler le tableau. Nos lecteurs apprécieront, comme nous, la manière dont ce journal, qui se recommande par son caractère sérieux, envisage le Spiritisme ; on voit que, de sa part, c’est une appréciation motivée.

Nous savions bien que les idées spirites sont très répandues chez les peuples de l’extrême Orient, et si nous ne les avons pas fait entrer en ligne de compte, c’est que, dans notre évaluation, nous ne nous sommes proposé de présenter, ainsi que nous l’avons dit, que le mouvement du Spiritisme moderne, nous réservant de faire plus tard une étude spéciale sur l’antériorité de ces idées. Nous remercions très sincèrement l’auteur de l’article de nous avoir devancé.

Ailleurs il dit : « Nous croyons que cette incertitude (sur le nom- bre réel des spirites, en France surtout) tient d’abord à l’absence de déclarations positives de la part des adeptes ; ensuite à l’état flottant des croyances. Il existe, - et nous pourrions en citer à Paris de nombreux exemples, - une foule de gens qui croient au Spiritisme et qui ne s’en vantent pas. »

Ceci est parfaitement juste ; aussi n’avons-nous parlé que des spirites de fait ; autrement, comme nous l’avons dit, si l’on comprenait les spirites d’intuition, en France seulement on les compterait par millions ; mais nous avons préféré être au-dessous qu’au-dessus de la vérité pour ne pas être taxé d’exagération. Il faut cependant que l’accroissement soit bien sensible, pour que certains adversaires l’aient porté à des chiffres hyperboliques, comme l’auteur de la brochure : le Budget du Spiritisme, qui, voyant sans doute les spirites avec un verre grossissant, les évaluait, en 1863, à vingt millions pour la France (Revue Spirite de juin 1863, page 175).

A propos de la proportion des savants officiels, dans la catégorie du degré d’instruction, l’auteur dit : « Nous aimerions bien de voir à l’œil nu ces 4 p. 100 de savants officiels : 40,000 pour l’Europe ; 24,000 pour la France seule ; c’est beaucoup de savants, et officiels encore ; 6 p. 100 d’illettrés, ce n’est guère. »

La critique serait fondée si, comme le suppose l’auteur, il s’agissait de 4 p. 100 sur le nombre approximatif de six cent mille spirites en France, ce qui ferait effectivement vingt-quatre mille ; ce serait beaucoup, en effet, car on aurait quelque peine à trouver ce chiffre de savants officiels dans toute la population de la France. Sur une telle base, le calcul serait évidemment ridicule, et l’on pourrait en dire autant des illettrés. Cette évaluation n’a donc pas pour but d’établir le nombre effectif des savants officiels spirites, mais la proportion relative dans laquelle ils se trouvent par rapport aux divers degrés d’instruction, parmi lesquels ils sont en minorité. Dans d’autres catégories, nous nous sommes borné à une simple classification, sans évaluation numérique à tant pour cent. Lorsque nous avons usé de ce dernier procédé, c’était pour rendre la proportion plus sensible.

Pour mieux définir notre pensée, nous dirons que, par savants officiels, nous n’entendons pas tous ceux dont le savoir est constaté par un diplôme, mais uniquement ceux qui occupent des positions officielles, comme membres d’Académies, professeurs des Facultés, etc., qui se trouvent ainsi plus en évidence, et dont, par ce motif, le nom fait autorité dans la science ; à ce point de vue, un  docteur en médecine peut être très savant, sans être un savant officiel.

La position officielle influe beaucoup sur la manière d’envisager certaines choses ; nous en citerons, comme preuve, l’exemple d’un médecin distingué, mort depuis plusieurs années, et que nous avons personnellement connu. Il était alors grand partisan du magnétisme, sur lequel il avait écrit, et ce fut ce qui nous mit en rapport avec lui. Sa réputation grandissant, il acquit successivement plusieurs positions officielles. A mesure qu’il montait, sa ferveur pour le magnétisme baissait ; si bien que quand il fut au plus haut de l’échelle, elle tomba au-dessous de zéro, car il renia ouvertement ses anciennes convictions. Des considérations de même nature peuvent expliquer le rang de certaines classes en ce qui concerne le Spiritisme.


7. — La catégorie des affligés, gens sans inquiétude, heureux du monde, sensualistes, fournit à l’auteur de l’article la réflexion suivante :

« Il est dommage que ce soit là de la pure fantaisie. Pas de sensualistes, cela se comprend ; Spiritisme et matérialisme s’excluent. Soixante affligés sur cent spirites, cela se comprend encore. C’est pour ceux qui pleurent que les relations avec un monde meilleur sont précieuses. Mais trente personnes sur cent sans inquiétude, c’est trop beau ! Si le Spiritisme opérait de tels miracles, il ferait bien d’autres conquêtes. Il en ferait surtout parmi les heureux du monde, qui en sont aussi presque toujours les plus inquiets et les plus tourmentés. »

Il y a ici une erreur manifeste, car il semblerait que ce résultat est le fait du Spiritisme, tandis que c’est lui qui puise, dans ces catégories, plus ou moins d’adeptes selon les prédispositions qu’il y rencontre. Ces chiffres signifient simplement qu’il trouve le plus d’adhérents parmi les affligés ; un peu moins parmi les gens sans inquiétude ; mais moins encore parmi les heureux du monde, et point parmi les sensualistes.

Il faut d’abord s’entendre sur les mots. Matérialisme et sensualisme ne sont pas synonymes et ne marchent pas toujours de pair ; car on voit des gens, spiritualistes par profession et par devoir, qui sont très sensuels, tandis qu’il y a des matérialistes très modérés dans leur manière de vivre ; le matérialisme n’est souvent pour eux qu’une opinion qu’ils ont embrassée faute d’en trouver une plus rationnelle ; c’est pourquoi, lorsqu’ils reconnaissent que le Spiritisme comble le vide fait dans leur conscience par l’incrédulité, ils  l’acceptent avec bonheur ; les sensualistes, au contraire, y sont les plus réfractaires.

Une chose assez bizarre, c’est que le Spiritisme trouve plus de résistance chez les panthéistes en général, que chez ceux qui sont franchement matérialistes. Cela tient sans doute à ce que le panthéiste se soit presque toujours fait un système ; il a quelque chose, tandis que le matérialiste n’a rien, et que ce vide l’inquiète.

Par les heureux du monde, nous entendons ceux qui passent pour tels aux yeux de la foule, parce qu’ils peuvent se donner largement toutes les jouissances de la vie. Il est vrai qu’ils sont souvent les plus inquiets et les plus tourmentés ; mais de quoi ? des soucis que leur causent la fortune et l’ambition. A côté de ces préoccupations incessantes, des anxiétés de la perte ou du gain, du tracas des affaires pour les uns, des plaisirs pour les autres, il leur reste trop peu de temps pour s’occuper de l’avenir.

Ne pouvant avoir la paix de l’âme qu’à la condition de renoncer à ce qui fait l’objet de leurs convoitises, le Spiritisme les touche peu, philosophiquement parlant. A l’exception des peines du cœur qui n’épargnent personne, si ce n’est les égoïstes, les tourments de la vie sont le plus souvent pour eux dans les déceptions de la vanité, du désir de posséder, de briller, de commander. On peut donc dire qu’ils se tourmentent eux-mêmes.

Le calme, la tranquillité, au contraire, se trouvent plus particulièrement dans les positions modestes, quand le bien-être de la vie y est assuré. Là, il n’y a que peu ou point d’ambition ; on se contente de ce que l’on a, sans se donner les tourments de l’augmenter en courant les chances aléatoires de l’agiotage ou de la spéculation. Ce sont ceux que nous appelons sans inquiétude, relativement parlant ; pour peu qu’il y ait en eux de l’élévation dans la pensée, ils s’occupent volontiers de choses sérieuses ; le Spiritisme leur offre un attrayant sujet de méditation, et ils l’acceptent plus facilement que ceux à qui le tourbillon du monde donne une fièvre continue.

Tels sont les motifs de cette classification qui n’est pas, comme on le voit, aussi fantaisiste que le suppose l’auteur de l’article. Nous le remercions de nous avoir fourni l’occasion de relever des erreurs que d’autres pourraient avoir commises, faute, par nous, d’avoir été assez explicite.


8. — Dans notre statistique, nous avons omis deux fonctions importantes par leur nature, et parce qu’elles comptent un assez grand nombre d’adeptes sincères et dévoués ; ce sont les maires et les  juges de paix, qui sont au cinquième rang, avec les huissiers et les commissaires de police.

Une autre omission contre laquelle il a été réclamé avec justice, et que l’on nous prie avec instance de réparer, c’est celle des Polonais, dans la catégorie des peuples. Elle est d’autant plus fondée que le Spiritisme compte dans cette nation de nombreux et fervents adeptes depuis l’origine. Comme rang, la Pologne vient en cinquième, entre la Russie et l’Allemagne.

Pour compléter la nomenclature, il aurait fallu y comprendre d’autres contrées comme la Hollande, par exemple, qui viendrait après l’Angleterre ; le Portugal, après la Grèce ; les provinces Danubiennes où il y a aussi des spirites, mais sur lesquelles nous n’avons pas de données assez positives pour leur assigner un rang. Quant à la Turquie, la presque totalité des adeptes se compose de Français, d’Italiens et de Grecs.

Une classification plus rationnelle, et plus exacte que celle par contrées territoriales, serait celles par races ou nationalités, qui ne sont pas confinées dans des limites circonscrites, et portent partout où elles sont répandues leur aptitude plus ou moins grande à s’assimiler les idées spirites. A ce point de vue, dans une même contrée, il y aurait souvent plusieurs distinctions à faire.


9. — La communication suivante a été donnée dans un groupe de Paris, à propos du rang qu’occupent les tailleurs parmi les professions industrielles.


(Paris, 6 janvier 1869, groupe Desliens ; méd. M. Leymarie.)

Vous avez créé des catégories, cher maître, en tête desquels vous avez placé certains métiers. Savez-vous, selon nous, ce qui entraîne certaines personnes à se faire spirites ? Ce sont les mille persécutions qu’elles endurent dans leurs professions. Les premiers dont vous parlez doivent avoir de l’ordre, de l’économie, du soin, du goût, être un peu artistes, et puis encore être patients, savoir attendre, écouter, sourire et saluer avec une certaine élégance ; mais après toutes ces petites conventions, plus sérieuses qu’on ne le pense, il faut encore calculer, ordonner sa caisse par doit et avoir, et souffrir, souffrir continuellement.

En contact avec les hommes de toutes classes, commentant les plaintes, les confidences, les duperies, les faux visages, ils apprennent beaucoup ! En conduisant cette vie multiple, leur intelligence s’ouvre par la comparaison ; leur esprit se fortifie par la déception  et la souffrance ; et voilà pourquoi certaines corporations comprennent et acclament tous les progrès ; elles aiment le théâtre français, la belle architecture, le dessin, la philosophie ; beaucoup la liberté et toutes ses conséquences. Toujours en avant et à l’affût de ce qui console et fait espérer, elles se donnent au Spiritisme qui est pour elles une force, une promesse ardente, une vérité qui grandit le sacrifice, et, plus que vous ne le croyez, la partie cotée nº 1 vit de sacrifices.


Sonnet.



[1] Le mot magnétiseur réveille une idée d’action : celui de magnétiste une idée d’adhésion. Le magnétiseur est celui qui exerce par profession ou autrement ; on peut être magnétiste sans être magnétiseur, on dira : un magnétiseur expérimenté, et un magnétiste convaincu.


[2] Conforme à l’original.


[3] Le journal la Solidarité paraît deux fois par mois. Prix : 10 fr. par an. Paris, librairie des sciences sociales, rue des Saints-Pères,  †  nº 13.


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