Le Chemin Écriture du Spiritisme Chrétien.
Doctrine spirite - 1re partie. ©

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Revue spirite — Année XII — Février 1869.

(Langue portugaise)

UN ESPRIT QUI SE CROIT PROPRIÉTAIRE.

Chez un des membres de la Société de Paris,  †  qui a des réunions spirites, on venait depuis quelque temps sonner à la porte, et, quand on allait ouvrir, on ne trouvait personne. Les coups de sonnettes étaient donnés avec force, et comme par quelqu’un qui veut entrer d’autorité. Toutes les précautions ayant été prises pour s’assurer que le fait n’était dû ni à une cause accidentelle, ni à la malveillance, on en conclut que ce devait être une manifestation. Un jour de séance, le maître du logis pria le visiteur invisible de vouloir bien se faire connaître et dire ce qu’il souhaitait. Voici les deux communications qu’il a données.


I.


(Paris, 22 décembre 1868.)

Je vous remercie, monsieur, de votre aimable invitation à prendre  la parole, et, puisque vous m’y encouragez, je vaincrai ma timidité pour m’ouvrir franchement à vous sur mon désir.

Il faut vous dire d’abord que je n’ai pas toujours été riche. Je suis né pauvre, et si je suis arrivé, c’est à moi seul que je le dois. Je ne vous dirai pas, comme tant d’autres, que je suis venu à Paris en sabots ; c’est une vieille rengaine qui ne prend plus ; mais j’avais de l’ardeur, et l’esprit du spéculateur par excellence. Etant enfant, si je prêtais trois billes, il fallait que l’emprunteur m’en rendît quatre. Je faisais commerce de tout ce que j’avais, et j’étais heureux de voir peu à peu mon trésor grossir. Il est vrai que des circonstances malheureuses me dépouillèrent plusieurs fois ; j’étais faible ; d’autres plus forts, s’emparaient de mon gain, et tout était à recommencer ; mais j’étais persévérant.

Peu à peu je quittai l’enfance ; mes idées grandirent. Enfant, j’avais exploité mes camarades ; jeune homme, j’exploitai mes camarades d’atelier. Je faisais des courses ; j’étais l’ami de tout le monde, mais je faisais payer mes peines et mon amitié. « Il est bien complaisant, disait-on, mais il ne faut point lui parler de donner. » Hé ! hé ! c’est comme cela qu’on arrive. Allez donc voir ces beaux fils d’aujourd’hui qui dépensent tout ce qu’ils possèdent au jeu et au café ! ils se ruinent et s’endettent, tant en haut qu’en bas de l’échelle. Moi, je laissais les autres courir comme des fous à la culbute. Je marchais lentement et sagement ; aussi j’arrivai au port, et j’acquis une fortune considérable.

J’étais heureux ; j’avais une femme, des enfants ; l’une un peu coquette, les autres un peu dépensiers. Je pensais qu’avec l’âge tout cela disparaîtrait ; mais point. Je les tins cependant longtemps en bride ; mais un jour je tombai malade. On fit venir le médecin qui fit, sans doute, bien du mal à ma bourse ; puis… je perdis connaissance…

Quand je revins à la raison, tout allait sur un joli pied ! Ma femme recevait ; mes fils avaient voitures, chevaux, domestiques, intendant, que sais-je ! toute une armée vorace qui se jeta sur mon pauvre bien, si péniblement acquis, pour le gaspiller.

Cependant, je m’aperçus bientôt que le désordre était organisé ; on ne dépensait que ses revenus, mais on les dépensait largement. On était assez riche : on n’avait plus besoin de capitaliser comme le vieux bonhomme ; il fallait jouir et non thésauriser… Et je restais la bouche béante, ne sachant que dire ; car si j’élevais la voix, je n’étais pas écouté ; on feignait de ne pas me voir. Je suis nul désormais ; les domestiques ne me chassent pas encore, bien que mon costume ne soit pas en harmonie avec le luxe des appartements ; mais on ne fait pas attention à moi. Je m’assieds, je me lève, je heurte les visiteurs, j’arrête les valets ; il semble qu’ils ne sentent rien ; et cependant j’ai de la vigueur, j’espère, et, vous pourrez en témoigner, vous qui m’avez entendu sonner. Je crois que c’est un parti pris ; on veut sans doute me rendre fou pour se débarrasser de moi.

Telle était ma situation lorsque je vins visiter une de mes maisons. Vieille habitude que je conserve encore, bien que ce ne soit plus moi qui sois le maître ; mais j’ai tout vu bâtir ; ce sont mes écus qui ont tout payé, et je les aime, moi, ces maisons dont les revenus enrichissent mes fils ingrats.

J’étais donc en visite ici, lorsque j’appris que des spirites s’y réunissaient. Cela m’intéressa ; je m’enquis du Spiritisme, et j’appris que les spirites prétendaient expliquer toutes choses. Comme ma situation me paraît peu claire, je ne serais pas fâché d’avoir l’avis des Esprits à cet égard. Je ne suis ni un incrédule, ni un curieux ; j’ai envie de voir et de croire, d’être éclairé, et si vous me remettez en position de tout gouverner chez moi, foi de propriétaire, je ne vous augmenterai pas tant que je vivrai.


II.


(Paris, 29 décembre 1868.)

Je suis mort, dites-vous ? Mais songez-vous bien à ce que vous me dites ?… Vous prétendez que mes enfants ne me voient ni ne m’entendent ; mais vous me voyez et m’entendez, vous, puisque vous entrez en conversation avec moi ; puisque vous m’ouvrez quand je sonne ; puisque vous m’interrogez et que je réponds ?… Écoutez, je vois ce que c’est : vous êtes moins forts que je n’ai cru, et comme vos Esprits ne peuvent rien dire, vous voulez m’entortiller en me faisant douter de ma raison… Me prenez-vous pour un enfant ? Si j’étais mort, je serais Esprit comme eux et je les verrais ; mais je n’en vois aucun, et vous ne m’avez pas encore mis en rapport avec eux.

Il y a pourtant une chose qui m’intrigue. Dites-moi donc pourquoi vous écrivez tout ce que je dis ? Est-ce que, par hasard, vous voudriez me trahir ? On dit que les spirites sont des fous ; vous pensez peut-être dire à mes enfants que je m’occupe de Spiritisme, et leur donner ainsi le moyen de me faire interdire ?

 Mais il écrit, il écrit !… Je n’ai pas plutôt fini de penser que mes idées sont aussitôt couchées sur le papier… Tout cela n’est pas clair !… Ce qu’il y a de sûr, c’est que je vois, que je parle ; je respire, je marche, je monte les escaliers, et, Dieu merci ! je m’aperçois suffisamment que c’est au cinquième que vous demeurez… Ce n’est pas charitable de se faire ainsi un jeu de la peine des gens. Je souffle ; je n’en puis plus, et l’on prétend me faire croire que je n’ai plus de corps ?… Je sens bien mon asthme, peut-être !… Quant à ceux qui m’ont dit ce que c’était que le Spiritisme, eh bien ! mais ce sont des gens comme vous ; des connaissances à moi ; que j’avais perdues de vue, et que j’ai retrouvées depuis ma maladie !

Oh ! mais… c’est singulier !… Oh ! par exemple, je n’y suis plus ; mais plus du tout !… Mais, il me semble… Oh ! ma mémoire qui s’en va… si… non… mais si… Je suis fou, ma parole… J’ai parlé à des gens que je croyais morts et enterrés depuis huit ou dix ans… Parbleu ! j’ai assisté aux convois ; j’ai fait des affaires avec les héritiers !… C’est vraiment étrange !… Et ils parlent ! et ils marchent… et ils causent !… Ils sentent leurs rhumatismes !… Ils parlent de la pluie et du beau temps ;… ils prisent mon tabac et me serrent la main !

Mais alors, moi !… Non, non, ce n’est pas possible ! je ne suis pas mort ! On ne meurt pas comme cela, sans s’en apercevoir… J’ai encore été au cimetière, justement à la fin de ma maladie ;… c’était un parent… mon fils était en deuil… ma femme n’y était pas, mais elle pleurait… Je l’ai accompagné, ce pauvre cher… Mais qui était-ce donc ?… Je ne le sais vraiment… Quel trouble étrange m’agite !… Ce serait moi ?… Mais non ; puisque j’accompagnais le corps, je ne pouvais être dans la bière… Être là, et là-bas !… et pourtant !… comme c’est étrange tout cela !… quel écheveau embrouillé !… Ne me dites rien ; je veux chercher tout seul ; vous me troubleriez… Laissez-moi ; je reviendrai… Il paraît décidément que je suis un revenant !… Oh ! la singulière chose !


Remarque. Cet Esprit est dans la même situation que le précédent [Un Esprit qui croit rêver,] en ce sens que l’un et l’autre se croient encore de ce monde ; mais il y a entre eux cette différence que l’un se croit en possession de son corps charnel, tandis que l’autre a conscience de son état spirituel, mais se figure qu’il rêve. Ce dernier est sans contredit plus près de la vérité, et cependant il sera le dernier à revenir de son erreur. L’ex-propriétaire était, il est vrai, très attaché aux biens matériels, mais son avarice et des habitudes d’économie un peu sordide, prou- vent qu’il ne menait pas une vie sensuelle. De plus, il n’est pas foncièrement incrédule ; il ne repousse pas la spiritualité. Louis [L’Esprit qui croit rêver] au contraire, en a peur ; ce qu’il regretterait, ce n’est pas l’abandon de la fortune qu’il gaspillait de son vivant, mais les plaisirs que ce gaspillage lui procurait. Ne pouvant se résoudre à admettre qu’il survit à son corps, il croit rêver ; il se complaît dans cette idée par l’espoir de revenir à la vie mondaine ; il s’y cramponne par tous les sophismes que son imagination peut lui suggérer. Il restera donc en cet état, puisqu’il le veut, jusqu’à ce que l’évidence vienne lui ouvrir les yeux. Lequel souffrira le plus au réveil ? La réponse est facile : l’un ne sera que médiocrement surpris, l’autre sera terrifié.


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