Le Chemin Écriture du Spiritisme Chrétien.
Doctrine spirite - 1re partie. ©

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Revue spirite — Année XI — Janvier 1868.

(Langue portugaise)

LE SPIRITISME DEVANT L’HISTOIRE ET DEVANT L’ÉGLISE, SON ORIGINE, SA NATURE, SA CERTITUDE, SES DANGERS.

par l’abbé POUSSIN [Clovis Poussin], professeur au Séminaire de Nice.  † 

1. — Cet ouvrage est une réfutation du Spiritisme au point de vue religieux ; c’est, sans contredit, une des plus complètes et des mieux faites que nous connaissions. Elle est écrite avec modération et convenance, et ne se salit point par les épithètes grossières auxquelles nous ont habitués la plupart des controversistes du même parti ; là, point de déclamations furibondes, point de personnalités outrageantes ; c’est le principe même qui est discuté. On peut ne pas être de l’avis de l’auteur, trouver que les conclusions qu’il tire de ses prémisses sont d’une logique contestable ; dire qu’après avoir démontré, par exemple, pièces en main, que le soleil luit à midi, il a tort de conclure qu’il doit faire nuit, mais on ne lui reprochera pas le défaut d’urbanité dans la forme.

La première partie de l’ouvrage est consacrée à l’historique du Spiritisme dans l’antiquité et au moyen âge ; cette partie est riche en documents tirés des auteurs sacrés et profanes, qui attestent de laborieuses recherches et une étude sérieuse. C’est un travail que nous nous proposions de faire un jour, et nous sommes heureux que M. l’abbé Poussin nous ait épargné cette peine.

Dans la seconde partie, intitulée : Partie doctrinale, l’auteur, discutant les faits qu’il vient de citer, y compris les faits actuels, conclut, d’après l’infaillibilité de l’Église et ses propres arguments, que tous les phénomènes magnétiques et spirites sont l’œuvre du démon. C’est une opinion comme une autre, et respectable quand elle est sincère. Or nous croyons à la sincérité des convictions de M. Poussin, quoique nous n’ayons point l’honneur de le connaître. Ce qu’on peut lui reprocher, c’est de n’invoquer en faveur de sa thèse que l’opinion des adversaires connus du Spiritisme, ainsi que les doctrines et allégations qu’il désavoue. On chercherait en vain dans ce livre la mention des ouvrages fondamentaux, non plus qu’une réfutation directe des réponses qui ont été faites aux allégations contradictoires. En un mot, il ne discute pas la doctrine proprement dite ; il n’en prend pas les arguments corps à corps pour les écraser sous le poids d’une logique plus rigoureuse.

On peut, en outre, trouver étrange que M. l’abbé Poussin s’appuie, pour combattre le Spiritisme, sur l’opinion d’homme connus par leurs idées matérialistes, tels que MM. Littré  †  et Figuier  †  ; il fait surtout à ce dernier, qui a plus brillé par ses contradictions que par sa logique, de nombreux emprunts. Ces messieurs, en combattant le principe du Spiritisme, en déniant la cause des phénomènes psychiques, dénient par cela même le principe de la spiritualité ; ils sapent donc la base de la religion pour laquelle ils ne professent pas, comme on le sait, une grande sympathie. En invoquant leur opinion, le choix n’est pas heureux ; on pourrait même dire qu’il est maladroit, car c’est exciter les fidèles à lire des écrits qui ne sont rien moins qu’orthodoxes. En le voyant puiser à de telles sources, on pourrait croire qu’il n’a pas jugé les autres assez prépondérantes.

M. l’abbé Poussin ne conteste aucun des phénomènes spirites ; il en prouve virtuellement l’existence par les faits authentiques qu’il cite, et qu’il puise indifféremment dans l’histoire sacrée et dans l’histoire païenne. En rapprochant les uns et les autres, on ne peut s’empêcher de reconnaître leur analogie ; or, en bonne logique, de la similitude des effets on doit conclure à la similitude des causes.

Cependant M. Poussin conclut que les mêmes faits sont miraculeux et de source divine dans certains cas, et diaboliques dans d’autres.

Les hommes qui professent les mêmes croyances que M. Figuier ont aussi sur ces mêmes faits deux opinions : ils les nient carrément et les attribuent à la jonglerie ; quant à ceux qui sont avérés, ils s’efforcent de les rattacher aux seules lois de la matière. Demandez-leur ce qu’ils pensent des miracles du Christ : ils vous diront que ce sont des faits légendaires, des contes inventés pour les besoins de la cause, ou des produits d’imaginations surexcitées et en délire.

Le Spiritisme, il est vrai, ne reconnaît pas aux phénomènes psychiques un caractère surnaturel ; il les explique par les facultés et les attributs de l’âme, et comme l’âme est dans la nature, il les considère comme des effets naturels se produisant en vertu de lois spéciales, jusqu’alors inconnues, et que le Spiritisme fait connaître. Ces phénomènes s’accomplissant sous nos yeux, dans des conditions identiques, accompagnés des mêmes circonstances, et par l’entremise d’individus qui n’ont rien d’exceptionnel, il en conclut à la possibilité de ceux qui se sont passés en des temps plus reculés, et cela par la même cause naturelle.

Le Spiritisme ne s’adresse pas aux gens convaincus de l’existence de ces phénomènes, et qui sont parfaitement libres d’y voir des miracles, si telle est leur opinion, mais à ceux qui les nient précisément à cause du caractère miraculeux qu’on veut leur donner. En prouvant que ces faits n’ont de surnaturel que l’apparence, il les fait accepter par ceux mêmes qui les repoussaient. Les Spirites ont été recrutés en immense majorité parmi les incrédules, et cependant aujourd’hui il n’en est pas un seul qui nie les faits accomplis par le Christ ; or, lequel vaut le mieux de croire à l’existence de ces faits, sans le surnaturel, ou de n’y pas croire du tout ? ceux qui les admettent à un titre quelconque ne sont-ils pas plus près de vous que ceux qui les rejettent complètement ? Dès l’instant que le fait est admis, il ne reste plus qu’à en prouver la source miraculeuse, ce qui doit être plus facile, si cette source est réelle, que lorsque le fait lui-même est contesté.

M. Poussin, s’appuyant pour combattre le Spiritisme sur l’autorité de ceux qui repoussent jusqu’au principe spirituel, serait-il de ceux qui prétendent que l’incrédulité absolue est préférable à la foi acquise par le Spiritisme ?


2. — Nous citons intégralement la préface du livre de M. Poussin, que nous ferons suivre de quelques réflexions :

« Le Spiritisme, il faut bien le reconnaître, enveloppe comme dans un immense réseau la société tout entière, et par ses prophètes, par ses oracles, par ses livres et par son journalisme, s’efforce de miner sourdement l’Église catholique. S’il nous a rendu le service de renverser les théories matérialistes du dix-huitième siècle, il nous donne en échange une révélation nouvelle, qui sape par la base tout l’édifice de la révélation chrétienne. Et cependant, par un phénomène étrange, ou mieux, par suite de l’ignorance et de la fascination qu’excite la curiosité, combien de catholiques jouent chaque jour avec le Spiritisme, sans se préoccuper en rien de ses dangers  ! Il est bien vrai que les esprits sont encore partagés sur l’essence et même sur la réalité du Spiritisme, et c’est probablement à cause de ces incertitudes, que le plus grand nombre croit pouvoir se former la conscience et user du Spiritisme comme d’un curieux amusement. Néanmoins, au fond des âmes timorées et délicates se manifeste une grande anxiété. Que de fois n’avons-nous point entendu ces questions incessantes : « Dites-nous bien la vérité. Qu’est-ce que le Spiritisme ? Quelle est son origine ? Croyez-vous à cette généalogie qui voudrait relier les phénomènes du Spiritisme à la magie ancienne ? Admettez-vous les faits étranges du magnétisme et des tables tournantes ? Croyez-vous à l’intervention des Esprits et à l’évocation des âmes ; au rôle des anges ou des démons ? Est-il permis d’interroger les tables tournantes, de consulter les Spiritistes ? Que pensent sur toutes ces questions les théologiens, les évêques  ?… L’Église romaine a-t-elle donné quelques décisions, etc., etc. » — Ces questions, qui retentissent encore à nos oreilles, ont inspiré la pensée de ce livre, qui a pour but de répondre à toutes dans les limites de nos forces. Aussi pour être plus sûrs et plus convaincants, jamais nous n’affirmons rien, sans une autorité grave, et ne décidons rien que les évêques et Rome  †  n’aient décidé. — Parmi ceux qui ont étudié spécialement ces matières, les uns rejettent en masse tous les faits extraordinaires que le Spiritisme s’attribue. D’autres, tout en faisant une large part aux hallucinations et au charlatanisme, reconnaissent qu’il est impossible de ne point admettre certains phénomènes inexplicables et inexpliqués, aussi inconciliables avec les enseignements généraux des sciences naturelles, que déconcertants pour la raison humaine ; cependant, ils cherchent à les interpréter, ou par certaines lois mystérieuses de la physiologie, ou bien par l’intervention de la grande âme de la nature, dont la nôtre n’est qu’une émanation, etc. Plusieurs écrivains catholiques, forcés d’admettre les faits, trouvant la solution naturelle parfois impossible et l’explication panthéiste absurde, n’hésitent point à reconnaître dans certains faits du Spiritisme l’intervention directe du démon. Pour ceux-ci, le Spiritisme n’est que la continuation de cette magie païenne qui apparaît dans toute l’histoire, depuis les magiciens de Pharaon, la pythonisse d’Endor, les oracles de Delphes, les prophéties des sibylles et des devins, jusqu’aux possessions démoniaques de l’Évangile et aux phénomènes extraordinaires et constatés du magnétisme contemporain. L’Église ne s’est point prononcée sur les discussions spéculatives ; elle abandonne la question historique des origines du Spiritisme et la question psychologique de ses agents mystérieux, à la vaine dispute des hommes. Des théologiens graves, des évêques et des docteurs particuliers ont soutenu ces dernières opinions ; officiellement, Rome ne les approuve ni ne les blâme. Mais si l’Église a gardé prudemment le silence sur les théories, elle a élevé la voix dans les questions pratiques, et en présence des incertitudes de la raison, elle signale des dangers pour la conscience. Une science curieuse et même innocente en soi, peut, à cause des abus fréquents, devenir une source de périls ; aussi Rome a-t-elle condamné comme dangereux pour les mœurs, certaines pratiques et certains abus du magnétisme, dont les Spirites eux-mêmes ne dissimulent pas les graves inconvénients. Bien plus, des évêques ont cru devoir interdire à leurs diocésains, et dans toute hypothèse, comme superstitieux et dangereux pour les mœurs et pour la foi, non-seulement les abus du magnétisme, mais l’usage d’interroger les tables tournantes.

« Pour nous, dans la question spéculative, mis en présence de ceux qui voient le démon partout et de ceux qui ne le voient nulle part, nous avons voulu, en nous tenant à distance des deux écueils, étudier les origines historiques du Spiritisme, examiner la certitude des faits et discuter impartialement les systèmes psychologiques et panthéistes par lesquels on veut tout interpréter. Evidemment, lorsque nous réfutons plusieurs de ces systèmes, nous ne prétendons imposer à personne nos propres pensées, quoique les autorités sur lesquelles nous nous appuyons nous paraissent de la plus hante gravité. Séparant des opinions libres tout ce qui est de foi, comme l’existence des anges et des démons, les possessions et les obsessions démoniaques de l’Évangile, la légitimité et la puissance des exorcismes dans l’Église, etc., nous laissons à chacun le droit, non de nier le commerce volontaire des hommes avec le démon, ce qui serait téméraire, dit le P. Perronne, et conduirait au pyrrhonisme  †  historique ; mais nous reconnaissons à tout catholique le droit de ne point voir dans le Spiritisme l’intervention du démon, si nos arguments paraissent plus spécieux que solides, et si la raison et l’étude plus attentive des faits prouvent le contraire.

« Quant à la question pratique, nous ne nous reconnaissons point le droit d’absoudre ce que Rome condamne ; et si quelques âmes hésitaient encore, nous les renverrions simplement aux décisions romaines, aux interdictions épiscopales et même aux décisions théologiques que nous reproduisons tout entières.

« Le plan de ce livre est bien simple : la première partie, ou partie historique, après avoir donné l’enseignement des saintes Écritures et la tradition de tous les peuples sur l’existence et le rôle des Esprits, nous initie aux faits les plus saillants du Spiritisme ou de la magie, depuis l’origine du monde jusqu’à nos jours.

« La seconde partie, ou partie doctrinale, expose et discute les divers systèmes imaginés pour découvrir l’agent vrai du Spiritisme ; après avoir précisé de notre mieux l’enseignement de la théologie catholique sur l’intervention générale des Esprits, et donné libre carrière à des opinions libres sur l’agent mystérieux de la magie moderne, nous signalons aux fidèles les dangers du Spiritisme pour la foi, pour les mœurs et même pour la santé ou pour la vie.

« Puissent ces pages, en montrant le péril, achever le bien que d’autres ont commencé !… Inutile d’ajouter, qu’enfants dociles de l’Église, nous condamnons d’avance tout ce que Rome pourrait désapprouver. »


3. — M. l’abbé Poussin reconnaît deux choses : 1º que le Spiritisme enveloppe, comme dans un immense réseau, la société tout entière ; 2º qu’il a rendu à l’Église le service de renverser les théories matérialistes du dix-huitième siècle. Voyons quelles conséquences ressortent de ces deux faits.

Le Spiritisme, comme nous l’avons dit, est en grande majorité recruté parmi les incrédules ; en effet, demandez aux neuf dixièmes des adeptes à quoi ils croyaient avant d’être Spirites ; ils vous répondront qu’ils ne croyaient à rien, ou tout au moins qu’ils doutaient de tout ; l’existence de l’âme était pour eux une hypothèse, désirable sans doute, mais incertaine ; la vie future une chimère ; Christ était un mythe ou tout au plus un philosophe ; Dieu, s’il existait, devait être injuste, cruel et partial, c’est pourquoi ils aimaient autant croire qu’il n’y en a pas.

Aujourd’hui ils croient, et leur foi est inébranlable, parce qu’elle est assise sur l’évidence et la démonstration, et qu’elle satisfait leur raison ; l’avenir n’est plus une espérance, mais une certitude, parce qu’ils voient la vie spirituelle se manifester sous leurs yeux ; ils n’en doutent pas plus qu’ils ne doutent du lever du soleil. Il est vrai qu’ils ne croient ni aux démons, ni aux flammes éternelles de l’enfer, mais en revanche ils croient fermement en un Dieu souverainement juste, bon et miséricordieux ; ils ne croient pas que le mal vienne de lui, qui est la source de tout bien, ni des démons, mais des propres imperfections de l’homme ; que l’homme se réforme, et le mal n’existera plus ; se vaincre soi-même c’est vaincre le démon ; telle est la foi des Spirites, et la preuve de sa puissance, c’est qu’ils s’efforcent de devenir meilleurs, de dompter leurs mauvais penchants, et de mettre en pratique les maximes du Christ, en regardant tous les hommes comme des frères sans acception de races, de castes, ni de sectes, en pardonnant à leurs ennemis, en rendant le bien pour le mal, à l’exemple du divin modèle.

Sur qui le Spiritisme devait-il avoir le plus facile accès  ? ce n’est pas sur ceux qui avaient la foi et à qui cette foi suffisait, qui ne demandaient rien et n’avaient besoin de rien ; mais sur ceux à qui la foi faisait défaut.

Comme Christ, il est allé aux malades et non aux gens qui se portent bien ; à ceux qui ont faim et non à ceux qui sont rassasiés ; or, les malades sont ceux qui sont torturés par les angoisses du doute et de l’incrédulité.

Et qu’a-t-il fait pour les amener à lui ? Est-ce à grands renforts de réclames ? Est-ce en allant prêcher la doctrine sur les places publiques ? Est-ce en violentant les consciences ? Nullement, car ces moyens sont ceux de la faiblesse, et, s’il en eût usé, il aurait montré qu’il doutait de sa puissance morale. Il a pour règle invariable, conformément à la loi de charité enseignée par le Christ, de ne contraindre personne, de respecter toutes les convictions ; il s’est contenté d’énoncer ses principes, de développer dans ses écrits les bases sur lesquelles sont assises ses croyances, et il a laissé venir à lui ceux qui ont voulu ; s’il en est venu beaucoup, c’est qu’il a convenu à beaucoup, et que beaucoup ont trouvé en lui ce qu’ils n’avaient pas trouvé ailleurs. Comme il s’est principalement recruté parmi les incrédules, si, en quelques années, il a enlacé le monde, cela prouve que les incrédules et ceux qui ne sont pas satisfaits de ce qu’on leur donne sont nombreux, car on n’est attiré que là où l’on trouve quelque chose de mieux que ce que l’on a. Nous l’avons dit cent fois : Veut-on combattre le Spiritisme ? Qu’on donne mieux que lui.


4. — Vous reconnaissez, monsieur l’abbé, que le Spiritisme a rendu à l’Église le service de renverser les théories matérialistes ; c’est un grand résultat, sans doute, et dont il se glorifie ; mais comment l’a-t-il obtenu ? précisément à l’aide de ces moyens que vous appelez diaboliques, des preuves matérielles qu’il donne de l’âme et de la vie future ; c’est avec les manifestations des Esprits qu’il a confondu l’incrédulité, et qu’il triomphera définitivement. Et vous dites que ce service est l’œuvre de Satan ? Mais alors vous ne devriez pas tant lui en vouloir, puisqu’il détruit lui-même la barrière qui retenait ceux qu’il avait accaparés.

Rappelez-vous la réponse du Christ aux Pharisiens qui lui tenaient exactement le même langage, en l’accusant de guérir les malades et de chasser les démons par les démons. Rappelez-vous aussi cette parole de Mgr Frayssinous, évêque d’Hermopolis,  †  à ce sujet, dans ses conférences sur la religion : « Certes, un démon qui chercherait à détruire le règne du vice pour établir celui de la vertu serait un étrange démon, car il se détruirait lui-même. »

Si ce résultat obtenu par le Spiritisme est l’ouvrage de Satan, comment se fait-il que l’Église lui en ait laissé le mérite et qu’elle ne l’ait pas obtenu elle-même ; qu’elle ait laissé l’incrédulité envahir la société  ? Ce ne sont cependant pas les moyens d’action qui lui ont manqué ; n’a-t-elle pas un personnel et des ressources matérielles immenses ? les prédications depuis les capitales jusqu’aux plus petits villages ? la pression qu’elle exerce sur les consciences par la confession ? la terreur des peines éternelles ? l’instruction religieuse qui suit l’enfant pendant tout le cours de son éducation ? le prestige des cérémonies du culte et celui de son ancienneté ? Comment se fait-il qu’une doctrine à peine éclose, qui n’a ni prêtres, ni temples, ni culte, ni prédications ; qui est combattue à outrance par l’Église, calomniée, persécutée comme le furent les premiers chrétiens, ait ramené, en aussi peu de temps, à la foi et à la croyance en l’immortalité un si grand nombre d’incrédules ? La chose n’était cependant pas bien difficile, puisqu’il suffit à la plupart de lire quelques livres pour voir s’évanouir leurs doutes.

Tirez de là toutes les conséquences que vous voudrez ; mais convenez que si c’est là l’œuvre du diable, il a fait ce que vous n’avez pas pu faire vous-mêmes, et qu’il s’est acquitté de votre besogne.

Ce qui témoigne contre le Spiritisme, direz-vous sans doute, c’est qu’il n’emploie pas, pour convaincre, les mêmes arguments que vous, et que, s’il triomphe de l’incrédulité, il ne l’amène pas complètement à vous.

Mais le Spiritisme n’a la prétention de marcher ni avec vous, ni avec personne ; il fait ses affaires lui-même et comme il l’entend. De bonne foi, croyez-vous que si l’incrédulité a été réfractaire à vos arguments, le Spiritisme en eût triomphé en s’en servant ? Si un médecin ne guérit pas un malade avec un remède, un autre médecin le guérira-t-il en employant le même remède ?

Le Spiritisme ne cherche pas plus à ramener les incrédules dans le giron absolu du catholicisme que dans celui de tout autre culte. En leur faisant accepter les bases communes à toutes les religions, il détruit le principal obstacle, et leur fait faire la moitié du chemin ; à chacune de faire le reste, en ce qui la concerne ; celles qui échouent donnent une preuve manifeste d’impuissance.

Dès l’instant que l’Église reconnaît l’existence de tous les faits de manifestation sur lesquels s’appuie le Spiritisme ; qu’elle les revendique pour elle-même, à titre de miracles divins ; qu’il y a entre les faits qui se passent dans les deux camps une analogie complète, quant aux effets, analogie que M. l’abbé Poussin démontre avec la dernière évidence et pièces à l’appui en les mettant en regard, toute la question se réduit donc à savoir si c’est Dieu qui agit d’un côté et le diable de l’autre ; c’est une question de personne ; or, lorsque deux personnes font exactement la même chose, on en conclut qu’elles sont aussi puissantes l’une que l’autre ; toute l’argumentation de M. Poussin aboutit ainsi à démontrer que le diable est aussi puissant que Dieu.

De deux choses l’une, ou les effets sont identiques, ou ils ne le sont pas ; s’ils sont identiques, c’est qu’ils proviennent d’une même cause, ou de deux causes équivalentes ; s’ils ne le sont pas, montrez en quoi ils diffèrent. Est-ce dans les résultats ? Mais alors la comparaison serait à l’avantage du Spiritisme, puisqu’il ramène à Dieu ceux qui n’y croyaient pas.

Il est donc bien entendu, de par la décision formelle des autorités compétentes, que les Esprits qui se manifestent ne sont et ne peuvent être que des démons. Convenez cependant, monsieur l’abbé, que si ces mêmes Esprits, au lieu de contredire l’Église sur quelques points, eussent été en tout de son avis, s’ils fussent venus appuyer toutes ses prétentions temporelles et spirituelles, approuver sans restriction tout ce qu’elle dit et tout ce qu’elle fait, elle ne les appellerait pas des démons, mais bien des Esprits angéliques.

M. l’abbé Poussin a écrit son livre en vue, dit-il, de prémunir les fidèles contre les dangers que peut courir leur foi, par l’étude du Spiritisme. C’est témoigner peu de confiance dans la solidité des bases sur lesquelles cette foi est assise, puisqu’elle peut être ébranlée si facilement. Le Spiritisme n’a pas la même crainte. Tout ce qu’on a pu dire et faire contre lui ne lui a pas fait perdre un pouce de terrain, puisqu’il en gagne tous les jours, et cependant le talent n’a pas manqué à plus d’un de ses adversaires. Les luttes qu’on a engagées contre lui, loin de l’affaiblir, l’ont fortifié ; elles ont puissamment contribué à le répandre plus promptement qu’il ne l’eût fait sans cela ; de telle sorte que ce réseau qui, en quelques années, a enveloppé la société tout entière, est en grande partie l’œuvre de ses antagonistes. Sans aucun des moyens matériels d’action qui font les succès en ce monde, il ne s’est propagé que par la puissance de l’idée. Puisque les arguments à l’aide desquels on l’a combattu ne l’ont pas renversé, c’est, apparemment, qu’on les a trouvés moins convaincants que les siens. Voulez-vous avoir le secret de leur foi ? le voici : c’est qu’avant de croire, ils comprennent.

Le Spiritisme ne craint pas la lumière ; il l’appelle sur ses doctrines, parce qu’il veut être accepté librement et par la raison. Loin de craindre pour la foi des Spirites la lecture des ouvrages qui le combattent, il leur dit : Lisez tout ; le pour et le contre, et choisissez en connaissance de cause. C’est pour cela que nous signalons à leur attention l’ouvrage de M. l’abbé Poussin n


5. — Nous donnons ci-après, sans commentaires, quelques fragments tirés de la première partie.


1. – Certains catholiques, même pieux, ont en matière de foi de singulières idées, résultat inévitable du scepticisme ambiant qui, à leur insu, les domine et dont ils subissent la délétère influence. Parlez de Dieu, de Jésus-Christ, ils acceptent tout à l’instant ; mais si vous essayez de leur parler du démon et surtout de l’intervention diabolique dans la vie humaine, ils ne vous entendent plus. Comme nos rationalistes contemporains, ils prendraient volontiers le démon pour un mythe ou une personnification fantastique du génie du mal, les extases des saints pour des phénomènes de catalepsie, et les possessions diaboliques, même celles de l’Évangile, sinon pour de l’épilepsie, du moins pour des paraboles. Saint Thomas, dans son langage précis, répond en deux mots à ce dangereux scepticisme : « Si la facilité à voir parler le démon, dit-il, procède de l’ignorance des lois de la nature et de la crédulité, la tendance générale à ne voir son action nulle part, procède de l’irréligion et de l’incrédulité. » Nier le démon, c’est nier le Christianisme et nier Dieu.


2. – La croyance à l’existence des Esprits et leur intervention dans le domaine de notre vie, bien plus, le Spiritisme lui-même ou la pratique de l’évocation des Esprits, âmes, anges ou démons, remontent à la plus haute antiquité, et sont aussi anciens que le monde. — Interrogeons d’abord, sur l’existence et le rôle des Esprits, nos livres saints, les plus anciens et les plus incontestés livres d’histoire, en même temps qu’ils sont le code divin de notre foi. Le démon séduisant sous une forme sensible Adam et Ève dans le Paradis ; les chérubins qui en gardaient l’entrée ; les anges qui visitent Abraham et discutent avec lui la question du salut de Sodome ; les anges insultés dans la ville immonde, arrachant Loth à l’incendie ; l’ange d’Isaac, de Jacob, de Moïse et de Tobie ; le démon qui tue les sept maris de Sara ; celui qui torture l’âme et le corps de Job ; l’ange exterminateur des Égyptiens sous Moïse, et des Israélites sous David ; la main invisible qui écrit la sentence de Balthazar ; l’ange qui frappe Héliodore ; l’ange de l’Incarnation, Gabriel, qui annonce saint Jean et Jésus-Christ ; que faut-il de plus pour montrer et l’existence des Esprits, et la croyance à l’intervention de ces Esprits, bons ou mauvais, dans les actes de la vie humaine ? Dieu a fait les Esprits ses ambassadeurs, dit le Psalmiste ; ce sont les ministres de Dieu, dit saint Paul ; saint Pierre nous apprend que les démons rôdent sans cesse autour de nous comme des lions rugissants ; saint Paul, tenté par eux, nous déclare que l’air en est rempli.


3. – Remarquons ici que les traditions païennes sont en parfaite harmonie avec les traditions juives et chrétiennes. Le monde, selon Thalès et Pythagore, est rempli de substances spirituelles. Tous ces auteurs les divisent en Esprits bons et mauvais ; Empédocle dit que les démons sont punis des fautes qu’ils ont commises ; Platon parle d’un prince, d’une nature malfaisante, préposé à ces Esprits chassés par les dieux et tombés du ciel, dit Plutarque. Toutes les âmes, ajoute Porphyre, qui ont pour principe l’âme de l’univers, gouvernent les grands pays situés sous la lune : ce sont les bons démons (Esprits) ; et, soyons-en bien convaincus, ils n’agissent que dans l’intérêt de leurs administrés, soit dans le soin qu’ils prennent des animaux, soit qu’ils veillent sur les fruits de la terre, soit qu’ils président aux pluies, aux vents modérés, au beau temps. Il faut encore ranger dans la catégorie des bons démons ceux qui, suivant Platon, sont chargés de porter aux dieux les prières des hommes, et qui rapportent aux hommes les avertissements, les exhortations, les oracles des dieux.


4. – Les Arabes appellent le chef des démons Iba ; les Chaldéens en remplissent l’air ; enfin Confucius enseigne absolument la même doctrine : « Que les vertus des Esprits sont sublimes ! disait-il ; on les regarde et on ne les voit pas ; on les écoute et on ne les entend pas ; unis à la substance des choses, ils ne peuvent s’en séparer ; ils sont cause que tous les hommes dans tout l’univers se purifient et se revêtent d’habits de fête pour offrir des sacrifices ; ils sont répandus comme les flots de l’Océan au-dessus de nous, à notre gauche et à notre droite. » Le culte des Manitous, répandu parmi les sauvages d’Amérique, n’est que le culte des Esprits.


5. – Les Pères de l’Église, de leur côté, ont admirablement interprété la doctrine des Écritures sur l’existence et l’intervention des Esprits : Il n’y a rien dans le monde visible qui ne soit régi et disposé par la créature invisible, dit saint Grégoire. Chaque être vivant a dans ce monde un ange qui le régit, ajoute saint Augustin. Les anges, dit saint Grégoire de Nazianze, sont les ministres de la volonté de Dieu ; ils ont naturellement et par communication une force extraordinaire ; ils parcourent tous les lieux et se trouvent partout, tant par la promptitude avec laquelle ils exercent leur ministère que par la légèreté de leur nature. Les uns sont chargés de veiller sur quelque partie de l’univers qui leur est marquée de Dieu, de qui ils dépendent en toutes choses ; d’autres sont à la garde des villes et des églises ; ils nous aident dans tout ce que nous faisons de bien.


6. – Par rapport à la raison fondamentale, Dieu gouverne immédiatement l’univers ; mais relativement à l’exécution, il y a des choses qu’il gouverne par d’autres intermédiaires.


7. – Quant à l’évocation elle-même des Esprits, âmes, anges ou démons et à toutes les pratiques de la magie, dont le Spiritisme n’est qu’une forme, plus ou moins enveloppée de charlatanisme, c’est une pratique aussi ancienne que la croyance aux Esprits eux-mêmes.


8. – Saint Cyprien explique ainsi les mystères du Spiritisme païen : « Les démons, dit-il, s’introduisent dans les statues et dans les simulacres que l’homme adore ; ce sont eux qui animent les fibres des victimes, qui inspirent de leur souffle le cœur des devins et qui donnent une voix aux oracles. Mais comment peuvent-ils guérir ? Lœdunt primo, dit Tertullien, postque lœdere desinunt, et curasse creduntur. Ils blessent d’abord, et, cessant de blesser, ils passent pour guérir. » Dans l’Inde, ce sont les Lamas et les Brahamites qui, dès la plus haute antiquité, ont le monopole de ces mêmes évocations qui se continuent encore. « Ils faisaient communiquer le ciel avec la terre, l’homme avec la divinité, absolument comme nos médiums actuels. L’origine de ce privilège paraît remonter à la Genèse même des Hindous et appartenir à la caste sacerdotale de ces peuples. Sortie du cerveau de Brahma, la caste sacerdotale doit rester plus près de la nature de ce dieu créateur et entrer plus facilement en communication avec lui, que la caste guerrière, née de ses bras, et, à plus forte raison, que la caste des Parias, formée de la poussière de ses pieds. »


9. – Mais le fait le plus intéressant et le plus authentique de l’histoire, est sans contredit l’évocation de Samuel par le médium de la Pythonisse d’Endor qu’interroge Saül :  ( † )

« Samuel était mort, dit l’Écriture ; tout Israël l’avait pleuré, et il avait été enterré dans la ville de Ramatha, lieu de sa naissance. Et Saül avait chassé les magiciens et les devins de son royaume. Les Philistins, s’étant donc assemblés, vinrent camper à Sunam ; Saül, de son côté, assembla toutes les troupes d’Israël, et vint à Gelboé. Et ayant vu l’armée des Philistins, il fut frappé d’étonnement, et la crainte le saisit jusqu’au fond de son cœur. Il consulta le Seigneur ; mais le Seigneur ne lui répondit ni en songes, ni par les prêtres, ni par les prophètes. Alors, il dit à ses officiers : « Cherchez-moi une femme qui ait un Esprit de Python, afin que je l’aille trouver, et que, par son moyen, je puisse la consulter. » Ses serviteurs lui dirent : « Il y a à Endor une femme qui a un Esprit de Python. » Saül se déguisa donc, changea d’habits, et s’en alla, accompagné de deux hommes seulement. Il vint la nuit chez cette femme, et lui dit : « Consultez pour moi l’Esprit de Python, et évoquez-moi celui que je vous dirai. » Cette femme lui répondit : «  Vous savez tout ce qu’a fait Saül, et de quelle manière il a exterminé les magiciens et les devins de toutes ses terres. Pourquoi donc me tendez-vous un piège pour me perdre ? » Saül lui jura par le Seigneur, et lui dit : « Vive le Seigneur ! il ne vous arrivera de ceci aucun mal. » La femme lui dit : « Qui voulez-vous voir ? » Il lui répondit : « Faites-moi venir Samuel. » La femme ayant vu Samuel, jeta un grand cri, et dit à Saül : « Pourquoi m’avez-vous trompée ? car vous êtes Saül. » Le roi lui dit : « Ne craignez point. Qu’avez-vous vu ? — J’ai vu, lui dit-elle, un dieu qui sortait de la terre. » Saül lui dit : « Comment est-il fait ? — C’est, dit-elle, un vieillard couvert d’un manteau. » Saül reconnut donc que c’était Samuel ; et il lui fit une profonde révérence, en se baissant jusqu’à terre. Samuel dit à Saül : « Pourquoi avez-vous troublé mon repos en me faisant évoquer ? » Saül lui répondit : « Je suis dans une étrange extrémité. Les Philistins me font la guerre et Dieu s’est retiré de moi ; il ne m’a voulu répondre ni par les prophètes ni en songes. C’est pourquoi je vous ai fait évoquer, afin que vous m’appreniez ce que je dois faire. » Samuel lui dit : « Pourquoi vous adressez-vous à moi, puisque le Seigneur vous a abandonné, et qu’il est passé à votre rival ? Car le Seigneur vous traitera comme je vous l’ai dit de sa part. Il déchirera votre royaume de vos mains pour le donner à David, votre gendre, parce que vous n’avez ni obéi à la voix du Seigneur, ni exécuté l’arrêt de sa colère contre les Amalécites. C’est pour cela que le Seigneur vous envoie aujourd’hui ce que vous souffrez. Il livrera même Israël avec vous entre les mains des Philistins. Demain vous serez avec moi vous et vos fils ; et le Seigneur abandonnera aux Philistins le camp même d’Israël. » Saül tomba aussitôt, et demeura étendu sur la terre, car les paroles de Samuel l’avaient épouvanté ; et les forces lui manquèrent, parce qu’il n’avait point encore mangé ce jour-là. La magicienne vint à lui dans le trouble où il était, et elle lui dit : « Vous voyez que votre servante vous a obéi, que j’ai exposé ma vie pour vous, et que je me suis rendue à ce que vous désirez de moi. »

« Voici quarante ans que je fais profession d’évoquer des morts au service des étrangers, dit Philon à la suite de ce récit ; mais je n’ai jamais vu de semblable apparition. L’Ecclésiastique s’est chargé de nous prouver qu’il s’agit d’une véritable apparition et non d’une hallucination de Saül : «  Samuel après sa mort parla au roi, dit l’Esprit-Saint, lui prédit la fin de sa vie et, sortant de terre, il haussa sa voix pour prophétiser la ruine de sa nation, à cause de son impiété. »



[1] Un vol. in-12 ; prix, 3 fr. Chez Sarlit, libraire, 25, rue Saint-Sulpice, Paris. [Le Spiritisme devant l’histoire et devant l’église, son origine, sa nature, sa certitude, ses dangers - Google Books.]


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