Le Chemin Écriture du Spiritisme Chrétien.
Doctrine spirite - 1re partie. ©

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Œuvres posthumes — Première Partie.

(Langue portugaise)

Chapitre 6.


LA SECONDE VUE.

Connaissance de l’avenir. — Prévisions.

Si, dans l’état somnambulique, les manifestations de l’âme deviennent en quelque sorte ostensibles, il serait absurde de penser que dans l’état normal elle fût confinée dans son enveloppe d’une manière absolue, comme l’escargot renfermé dans sa coquille. Ce n’est point l’influence magnétique qui la développe ; cette influence ne fait que la rendre patente par l’action qu’elle exerce sur nos organes. Or, l’état somnambulique n’est pas toujours une condition indispensable pour cette manifestation ; les facultés que nous avons vues se produire dans cet état, se développent quelquefois spontanément dans l’état normal chez certains individus. Il en résulte pour eux la faculté de voir au-delà des limites de nos sens ; ils perçoivent les choses absentes partout où l’âme étend son action ; ils voient, si nous pouvons nous servir de cette expression, à travers la vue ordinaire, et les tableaux qu’ils décrivent, les faits qu’ils racontent, se présentent à eux comme par l’effet d’un mirage, c’est le phénomène désigné sous le nom de seconde vue. Dans le somnambulisme, la clairvoyance est produite par la cause ; la différence est que, dans cet état, elle est isolée, indépendante de la vue corporelle, tandis que chez ceux qui en sont doués à l’état de veille, elle lui est simultanée.

La seconde vue n’est presque jamais permanente ; en général, ce phénomène se produit spontanément, à certains moments donnés, sans être un effet de la volonté, et provoque une espèce de crise qui modifie quelquefois sensiblement l’état physique : l’œil a quelque chose de vague ; il semble regarder sans voir ; toute la physionomie reflète une sorte d’exaltation.

Il est remarquable que les personnes qui en jouissent ne s’en doutent pas ; cette faculté leur paraît naturelle comme celle de voir par les yeux ; c’est pour elles un attribut de leur être, et qui ne leur semble nullement faire exception. Ajoutez à cela que l’oubli suit très souvent cette lucidité passagère, dont le souvenir de plus en plus vague finit par disparaître comme celui d’un songe.

Il y a des degrés infinis dans la puissance de la seconde vue, depuis la sensation confuse jusqu’à la perception aussi claire et aussi nette que dans le somnambulisme. Il nous manque un terme pour désigner cet état spécial, et surtout les individus qui en sont susceptibles : on s’est servi du mot voyant, et quoiqu’il ne rende pas exactement la pensée, nous l’adopterons jusqu’à nouvel ordre, faute de mieux.

Si nous rapprochons maintenant les phénomènes de la clairvoyance somnambulique de la seconde vue, on comprend que le voyant puisse avoir la perception des choses absentes ; comme le somnambule, il voit à distance ; il suit le cours des événements, juge de leur tendance, et peut, dans quelques cas, en prévoir l’issue.

C’est ce don de la seconde vue, qui, à l’état rudimentaire, donne à certaines gens le tact, la perspicacité, une sorte de sûreté dans leurs actes, et que l’on peut appeler la justesse du coup d’œil moral ; plus développé encore, il montre les événements accomplis ou sur le point de s’accomplir ; enfin, arrivé à son apogée, c’est l’extase éveillée.

Le phénomène de la seconde vue, comme nous l’avons dit, est presque toujours naturel et spontané ; mais il semble se produire plus fréquemment sous l’empire de certaines circonstances. Les temps de crise, de calamité, de grandes émotions, toutes les causes enfin qui surexcitent le moral, en provoquent le développement. Il semble que la Providence, en présence des dangers plus imminents, multiplie autour de nous la faculté de les prévenir.

Il y a eu des voyants dans tous les temps et chez toutes les nations ; il semble que certains peuples y soient plus naturellement prédisposés ; on dit qu’en Ecosse le don de seconde vue est très commun. Il se rencontre aussi fréquemment chez les gens de la campagne et les habitants des montagnes.

Les voyants ont été diversement envisagés selon les temps, les mœurs et le degré de civilisation. Aux yeux des gens sceptiques, ils passent pour des cerveaux dérangés, des hallucinés ; les sectes religieuses en ont fait des prophètes, des sibylles, des oracles ; dans les siècles de superstition et d’ignorance, c’étaient des sorciers que l’on brûlait. Pour l’homme sensé qui croit à la puissance infinie de la nature et à l’inépuisable bonté du Créateur, la double vue est une faculté inhérente à l’espèce humaine, par laquelle Dieu nous révèle l’existence de notre essence matérielle. Quel est celui qui ne reconnaîtrait pas un don de cette nature dans Jeanne d’Arc et dans une foule d’autres personnages que l’histoire qualifie d’inspirés ?

On a souvent parlé de tireuses de cartes qui disaient des choses surprenantes de vérité. Nous sommes loin de nous faire l’apologiste des diseurs de bonne aventure qui exploitent la crédulité des esprits faibles, et dont le langage ambigu se prête à toutes les combinaisons d’une imagination frappée ; mais il n’y a rien d’impossible à ce que certaines personnes faisant ce métier aient le don de la seconde vue, même à leur insu ; dès lors, les cartes ne sont entre leurs mains qu’un moyen, qu’un prétexte, qu’une base de conversation ; elles parlent d’après ce qu’elles voient, et non d’après ce qu’indiquent les cartes qu’elles regardent à peine.

Il en est de même des autres moyens de divination, tels que les signes de la main, le marc de café, les blancs d’oeufs et autres symboles mystiques. Les signes de la main ont peut-être plus de valeur que tous les autres moyens, non point par eux-mêmes, mais parce que le soi-disant devin prenant et palpant la main du consultant, s’il est doué de la seconde vue, se trouve en rapport plus direct avec ce dernier, comme cela a lieu dans les consultations somnambuliques.

On peut placer les médiums voyants dans la catégorie des personnes jouissant de la double vue. Comme ces derniers, en effet, les médiums voyants croient voir par les yeux, mais en réalité c’est l’âme qui voit, et c’est la raison par laquelle ils voient tout aussi bien les yeux fermés que les yeux ouverts ; il s’ensuit nécessairement qu’un aveugle pourrait être médium voyant tout aussi bien que celui dont la vue est intacte. Une étude intéressante à faire serait de savoir si cette faculté est plus fréquente chez les aveugles. Nous serions porté à le croire, attendu qu’ainsi qu’on peut s’en convaincre par l’expérience, la privation de communiquer avec l’extérieur, par suite de l’absence de certains sens, donne, en général, plus de puissance à la faculté d’abstraction de l’âme, et par conséquent, plus de développement au sens intime par lequel elle se met en rapport avec le monde spirituel.

Les médiums voyants peuvent donc être assimilés aux personnes qui jouissent de la vue spirituelle ; mais il serait peut-être trop absolu de considérer ces dernières comme médiums ; car la médiumnité consistant uniquement dans l’intervention des Esprits, ce qu’on fait soi-même ne peut être considéré comme un acte médiumnique. Celui qui possède la vue spirituelle voit par son propre Esprit et rien n’implique, dans l’essor de sa faculté, la nécessité du concours d’un Esprit étranger.

Ceci posé, examinons jusqu’à quel point la faculté de la double vue peut nous permettre de découvrir les choses cachées et de pénétrer dans l’avenir.

De tout temps les hommes ont voulu connaître l’avenir, et l’on ferait des volumes sur les moyens inventés par la superstition pour soulever le voile qui couvre notre destinée. En nous la cachant, la nature a été fort sage ; chacun de nous a sa mission providentielle dans la grande ruche humaine, et concourt à l’œuvre commune dans sa sphère d’activité. Si nous savions d’avance la fin de chaque chose, nul doute que l’harmonie générale n’en souffrît. Un avenir heureux, assuré, ôterait à l’homme toute activité, puisqu’il n’aurait besoin d’aucun effort pour arriver au but qu’il se propose : son bien-être ; toutes les forces physiques et morales seraient paralysées, et la marche progressive de l’humanité serait arrêtée. La certitude du malheur aurait les mêmes conséquences par l’effet du découragement ; chacun renoncerait à lutter contre l’arrêt définitif du destin. La connaissance absolue de l’avenir serait donc un présent funeste qui nous conduirait au dogme de la fatalité, le plus dangereux de tous, le plus antipathique au développement des idées. C’est l’incertitude du moment de notre fin ici-bas qui nous fait travailler jusqu’au dernier battement de notre cœur. Le voyageur entraîné par un véhicule s’abandonne au mouvement qui doit le mener au but, sans songer à le faire dévier, parce qu’il sait son impuissance ; tel serait l’homme qui connaîtrait sa destinée irrévocable. Si les voyants pouvaient enfreindre cette loi de la Providence, ils seraient les égaux de la divinité ; aussi, telle n’est point leur mission.

Dans le phénomène de la double vue, l’âme étant en partie dégagée de l’enveloppe matérielle qui borne nos facultés, il n’y a plus pour elle ni durée, ni distances ; embrassant le temps et l’espace, tout se confond dans le présent. Libre de ses entraves, elle juge les effets et les causes mieux que nous ne pouvons le faire, elle voit les conséquences des choses présentes et peut nous les faire pressentir ; c’est dans ce sens qu’on doit entendre le don de prescience attribué aux voyants. Leurs prévisions ne sont que le résultat d’une conscience plus nette de ce qui existe, et non une prédiction de choses fortuites sans lien avec le présent ; c’est une déduction logique du connu pour arriver à l’inconnu, qui dépend très souvent de notre manière de faire. Lorsqu’un danger nous menace, si nous sommes avertis, nous sommes à même de faire ce qu’il faut pour l’éviter ; libre à nous de le faire ou de ne pas le faire.

En pareil cas, le voyant se trouve en présence du danger qui nous est caché ; il le signale, indique le moyen de le détourner, sinon l’événement suit son cours.

Supposons une voiture engagée sur une route aboutissant à un gouffre que le conducteur ne peut apercevoir ; il est bien évident que si rien ne vient la faire dévier, elle ira s’y précipiter ; supposons, en outre, un homme placé de manière à dominer la route à vol d’oiseau ; que cet homme, voyant la perte inévitable du voyageur, puisse l’avertir de se détourner à temps, le danger sera conjuré. De sa position, dominant l’espace, il voit ce que le voyageur, dont la vue est circonscrite par les accidents de terrain, ne peut distinguer ; il peut voir si une cause fortuite va mettre obstacle à sa chute ; il connaît donc d’avance l’issue de l’événement et peut la prédire.

Que ce même homme placé sur une montagne aperçoive au loin, sur la route, une troupe ennemie se dirigeant vers un village qu’elle veut mettre en feu ; il lui sera facile, en supputant l’espace et la vitesse, de prévoir le moment de l’arrivée de la troupe. Si, descendant au village, il dit simplement : A telle heure le village sera incendié, l’événement venant à s’accomplir, il passera, aux yeux de la multitude ignorante pour un devin, un sorcier, tandis qu’il a tout simplement vu ce que les autres ne pouvaient voir, et en a déduit les conséquences. Or, le voyant, comme cet homme, embrasse et suit le cours des événements ; il n’en prévoit pas l’issue par le don de la divination ; il la voit ! Il peut donc vous dire si vous êtes dans le bon chemin, vous indiquer le meilleur, et vous annoncer ce que vous trouverez au bout de la route ; c’est pour vous le fil d’Ariane qui vous montre la sortie du labyrinthe.

Il y a loin de là, comme on le voit, à la prédiction proprement dite, telle que nous l’entendons dans l’acception vulgaire du mot. Rien n’est ôté au libre arbitre de l’homme qui reste toujours maître d’agir ou de ne pas agir, qui accomplit ou laisse accomplir les événements par sa volonté ou par son inertie ; on lui indique le moyen d’arriver au but, c’est à lui d’en faire usage. Le supposer soumis à une fatalité inexorable pour les moindres événements de la vie, c’est le déshériter de son plus bel attribut : l’intelligence ; c’est l’assimiler à la brute. Le voyant n’est donc point un devin ; c’est un être qui perçoit ce que nous ne voyons pas ; c’est pour nous le chien de l’aveugle. Rien donc ici ne contredit les vues de la Providence sur le secret de notre destinée ; c’est elle-même qui nous donne un guide.

Tel est le point de vue sous lequel doit être envisagée la connaissance de l’avenir chez les personnes douées de la double vue. Si cet avenir était fortuit, s’il dépendait de ce qu’on appelle le hasard, s’il ne se liait en rien aux circonstances présentes, nulle clairvoyance ne pourrait le pénétrer, et toute prévision, dans ce cas, ne saurait offrir aucune certitude. Le voyant, et nous entendons par là le véritable voyant, le voyant sérieux et non le charlatan qui le simule, le véritable voyant, disons-nous, ne dit point ce que le vulgaire appelle la bonne aventure ; il prévoit l’issue du présent, rien de plus, et c’est déjà beaucoup.

Que d’erreurs, que de fausses démarches, que de tentatives inutiles n’éviterions-nous pas, si nous avions toujours un guide sûr pour nous éclairer ! Que d’hommes sont déplacés dans le monde pour n’avoir pas été lancés sur la route que la nature avait tracée à leurs facultés !

Combien échouent pour avoir suivi les conseils d’une obstination irréfléchie ! Une personne eût pu leur dire : « N’entreprenez pas telle chose, parce que vos facultés intellectuelles sont insuffisantes, parce qu’elle ne convient ni à votre caractère, ni à votre constitution physique, ou bien encore parce que vous ne serez pas secondé selon la nécessité ; ou bien encore parce que vous vous abusez sur la portée de cette chose, parce que vous rencontrerez telle entrave que vous ne prévoyez pas. » Dans d’autres circonstances, elle eût dit : « Vous réussirez dans telle chose, si vous vous y prenez de telle ou telle manière ; si vous évitez telle démarche qui peut vous compromettre. » Sondant les dispositions et les caractères elle eût dit : « Méfiez-vous de tel piège qu’on veut vous tendre » ; puis, elle eût ajouté : « Vous voilà prévenu, mon rôle est fini ; je vous montre le danger ; si vous succombez, n’accusez ni le sort, ni la fatalité, ni la Providence, mais vous seul. Que peut le médecin, quand le malade ne tient nul compte de ses avis ? »


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