Le Chemin Écriture du Spiritisme Chrétien.
Doctrine spirite - 1re partie. ©

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Revue spirite — Année VI — Mai 1863.

(Langue portugaise)

QUELQUES RÉFUTATIONS.

1. — On nous signale de différents points de nouvelles prédications contre le Spiritisme, toutes dans le même esprit que celles dont nous avons parlé, et comme ce n’est toujours que la variante d’une même pensée, en termes plus ou moins choisis, nous croyons superflu d’en donner l’analyse ; nous nous bornons à relever certains passages que nous faisons suivre de quelques réflexions.


« Mes frères, c’est un chrétien qui parle à des chrétiens, et comme tels nous avons le droit de nous étonner de voir le Spiritisme croître parmi nous. Qu’est-ce que le Spiritisme, je vous le demande, si ce n’est un assemblage d’horreurs que la folie seule peut justifier ? »

A cela nous n’avons rien à répondre, si ce n’est que toutes les prédications faites dans cette cité n’ont pu arrêter l’accroissement du Spiritisme, ainsi que le constate l’orateur ; donc les arguments qu’on lui oppose ont moins d’empire que les siens ; donc, si les prédications viennent de Dieu, et le Spiritisme du diable, c’est que le diable est plus puissant que Dieu. Rien n’est brutal comme un fait ; or, le fait de propagation du Spiritisme par suite même des prédications est notoire, donc, c’est qu’on trouve les arguments qu’il donne plus convaincants que ceux de ses adversaires. C’est un tissu d’horreurs, soit ; mais convenez que si ces mêmes Esprits venaient abonder dans toutes vos idées, au lieu de démons vous en feriez des saints, et, loin de condamner les évocations, vous les encourageriez.


2. —   Notre siècle ne respecte plus rien ; la cendre des tombeaux n’est pas même épargnée, puisque des insensés osent appeler les morts pour s’entretenir avec eux. C’est pourtant ainsi, et voilà où en est arrivé ce prétendu siècle de lumières : causer avec des revenants. »

Causer avec les morts n’est pas le fait de ce siècle, puisque l’histoire de tous les peuples prouve qu’on l’a fait de tout temps ; la seule différence est qu’on le fait partout aujourd’hui et sans les accessoires superstitieux dont on entourait jadis les évocations ; qu’on le fait avec un sentiment plus religieux et plus respectueux. De l’un des deux : ou la chose est possible ou elle ne l’est pas ; si elle ne l’est pas, c’est une croyance illusoire, comme celle de croire à la fatalité du vendredi, à l’influence du sel renversé ; nous ne voyons donc pas qu’il y ait là tant d’horreurs, et que l’on manque de respect en causant avec des gens qui ne sont pas là ; si les morts viennent causer avec nous, ce ne peut être qu’avec la permission de Dieu, à moins de prétendre qu’ils viennent sans sa permission ou contre sa volonté, ce qui impliquerait que Dieu ne s’en occupe pas, ou que les évocateurs sont plus puissants que Dieu. Mais remarquez les contradictions : d’un côté vous dites que le diable seul se communique, et d’un autre qu’on trouble la cendre des morts en les appelant ; si c’est le diable, ce ne sont pas les morts, donc on ne les trouble pas et on ne leur manque pas de respect ; si ce sont les morts, donc ce n’est pas le diable. Il faudrait au moins vous accorder sur ce point capital. En admettant que ce soient les morts, nous reconnaissons qu’il y aurait profanation à les appeler légèrement, pour des causes futiles, et surtout d’en faire un métier lucratif, toutes choses que nous condamnons, n’assumant pas plus la responsabilité de ceux qui s’écartent des principes du Spiritisme sérieux, que vous n’assumez celle des faux dévots qui n’ont de la religion que le masque, qui prêchent ce qu’ils ne pratiquent pas, ou qui spéculent sur les choses saintes. Certes des évocations faites dans les conditions burlesques supposées par un éloquent orateur que nous citons plus loin seraient un sacrilège, mais, Dieu merci, nous n’en sommes pas là, et nous ne croyons pas que celle de M. Viennois, également rapportée ci-après [v. M. Philibert Viennois], soit dans ce cas.


3. —   J’ai été moi-même témoin de ces faits, et j’ai entendu prêcher la morale, la charité, il est vrai ; mais sur quoi s’appuient cette morale, cette charité ? Hélas ! sur rien, car peut-on appeler morale une doctrine qui nie les peines éternelles ? »

Si cette morale conduit à faire le bien sans la crainte des peines éternelles, elle n’en a que plus de mérite. Autrefois on croyait impossible de maintenir les écoliers sans la crainte de la férule ; en étaient-ils meilleurs ? Non ; aujourd’hui on ne s’en sert plus et ils ne sont pas pires, au contraire ; donc le régime actuel est préférable. On juge la bonté d’un moyen par ses effets. D’ailleurs, à qui s’adresse cette morale ? à ceux précisément qui ne croient pas aux peines éternelles, et à qui nous donnons un frein qu’ils acceptent, tandis que vous ne leur en donnez point, puisqu’ils n’acceptent pas le vôtre. Empêchons-nous de croire à la damnation absolue ceux à qui cela convient ? Pas le moins du monde.

Encore une fois nous ne nous adressons pas à ceux qui ont la foi et à qui cette foi suffit, mais à ceux qui n’en ont point ou qui doutent. Aimeriezvous mieux qu’ils restassent dans l’incrédulité absolue ? ce serait peu charitable. Avez-vous peur qu’on ne vous enlève des brebis ? c’est que vous n’avez pas grande confiance dans la puissance de vos moyens pour les retenir ; c’est que vous avez peur qu’elles ne soient attirées par l’herbe tendre du pardon et de la miséricorde divine. Croyez-vous donc que celles qui flottent incertaines préfèreront les charbons de l’enfer ? D’un autre côté, qui doit être plus convaincu des peines éternelles que ceux qui sont nourris dans le sein de l’Église ? Or, dites pourquoi cette perspective n’a pas arrêté tous les scandales, toutes les atrocités, toutes les prévarications aux lois divines et humaines dont fourmille l’histoire et qui se reproduisent incessamment de nos jours ? Sont-ce des crimes, oui ou non ? Si donc ceux qui font profession de cette croyance ne sont pas arrêtés, comment voulez-vous que le soient ceux qui n’y croient pas ? Non, il faut à l’homme éclairé de nos jours un autre frein, celui qu’admet sa raison ; or, la croyance aux peines éternelles, utile peut-être à une autre époque, a fait son temps ; elle s’éteint tous les jours, et vous aurez beau faire, vous ne donnerez pas plus la vie à ce cadavre que vous ne ferez revivre les us et coutumes et les idées du moyen âge. Si l’Église catholique croit sa sûreté compromise par la disparition de cette croyance, il faut la plaindre de reposer sur une base si fragile, car, si elle a un ver rongeur, c’est le dogme des peines éternelles.


4. —   Aussi, j’en appelle à la moralité de toutes les âmes honnêtes ; j’en appelle aux magistrats, car ils sont responsables de tout le mal qu’une semblable hérésie attire sur nos têtes. »

Nous ne savions pas qu’en France les magistrats fussent chargés de poursuivre les hérésies, puisque parmi eux, s’il y a des catholiques, il y aussi des protestants et des juifs, hérétiques qui seraient ainsi chargés de se poursuivre eux-mêmes et de se condamner ; qu’il y en a parmi les fonctionnaires du plus haut rang.


5. —   Oui, les Spirites, je ne crains pas de le déclarer ici hautement, ne sont pas seulement passibles de la police correctionnelle, de la Cour impériale, mais, entendez-le bien, il sont encore passibles de la Cour d’assises, car ce sont des faussaires ; ils signent des communications de noms honorables que n’auraient certes pas signées, de leur vivant, ceux que l’on fait si bien causer aujourd’hui. »

Les Spirites sont vraiment bien heureux que Confucius, Socrate, Platon, saint Augustin, saint Vincent de Paul, Fénelon, etc., ne puissent venir leur intenter des procès pour crimes de faux en écriture privée. Mais, j’y songe : ils auraient une planche de salut précisément dans les Cours d’assises dont ils sont justiciables ; car là ce sont les jurés qui prononcent selon leur conscience ; or, parmi eux il y a aussi des protestants et des juifs ; il y a même, chose abominable, des philosophes, des incrédules, d’affreux libres penseurs, qui, vu nos détestables lois modernes, se trouvent partout ; donc, si l’on nous accuse de faire dire à saint Augustin quelque chose d’hétérodoxe, nous trouverons toujours des jurés pour nous acquitter. O perversité du siècle ! dire que de nos jours Voltaire, Diderot, Luther, Calvin, Jean Huss, Arius, auraient été jurés par droit de naissance, qu’ils auraient pu être juges, préfets, ministres de la justice et même des cultes ! Les voyez-vous, ces gibiers de l’enfer, se prononcer sur une question d’hérésie ! car, pour condamner la signature de Fénelon mise au bas d’une communication soi-disant hérétique, il faut juger la question d’orthodoxie, et qui sera compétent dans le jury ?


6. —   Et pourtant, une chose serait si facile pour interdire de semblables forfaits ! Que faudrait-il faire ? la moindre des choses ; et même sans leur faire l’honneur de l’écharpe du commissaire, vous pouvez mettre un sergent de ville à l’entrée de chaque groupe pour dire : on ne passe pas. Je vous dépeins le mal, je vous décris le remède, rien de plus, rien de moins, car je leur fais grâce de l’inquisition. »

Merci beaucoup, mais il n’y a pas grand mérite à offrir ce qu’on n’a pas, et, malheureusement pour vous, vous n’avez pas l’inquisition, sans quoi il est douteux que vous nous en fissiez grâce. Que ne dites-vous donc aux magistrats d’interdire l’entrée des temples juifs et protestants où l’on prêche publiquement des dogmes qui ne sont pas les vôtres ?

Quant aux Spirites, ils n’ont ni temples, ni prêtres, mais ils ont des groupes, ce qui pour vous est la même chose, à l’entrée desquels il suffit de mettre un sergent de ville pour que tout soit dit ; c’est bien simple, en effet ; mais vous oubliez que les Esprits forcent toutes les consignes et entrent partout sans demander la permission, même chez vous, car vous en avez à vos côtés qui vous écoutent, sans que vous vous en doutiez, et, qui plus est, parlent à vos oreilles ; rappelez bien vos souvenirs et vous verrez que vous avez eu plus d’une manifestation sans la chercher.

Vous paraissez ignorer une chose qu’il est bon que vous sachiez. Les groupes spirites ne sont nullement nécessaires ; ce sont de simples réunions où sont heureux de se rencontrer des gens qui pensent de même ; et la preuve en est, c’est qu’il y a aujourd’hui en France plus de six cent mille Spirites dont les quatre-vingt-dix-neuf centièmes ne font partie d’aucun groupe et n’y ont jamais mis le pied ; que dans une foule de villes il n’y en a point ; que ni les groupes ni les sociétés n’ouvrent leurs portes au public pour prêcher leurs doctrines aux passants ; que le Spiritisme se prêche de lui-même et par la force des choses, parce qu’il répond à un besoin de l’époque ; que ces idées sont dans l’air et s’aspirent par tous les pores de l’intelligence ; que la contagion est dans l’exemple de ceux qui sont heureux de ces croyances et que l’on rencontre partout, dans le monde, sans aller les chercher dans les groupes. Ainsi, ce ne sont pas les groupes qui font de la propagande, puisqu’ils n’appellent pas le premier venu ; elle se fait de proche en proche, d’individu à individu ; donc, admettons l’interdiction de toutes les réunions, les Spirites en seraient quittes pour rester chez eux et se réunir en famille, ainsi que cela se fait dans des milliers d’endroits sans que le Spiritisme en souffre, bien au contraire, puisque nous avons toujours blâmé les grandes assemblées comme plus nuisibles qu’utiles, l’intimité étant reconnue la condition la plus favorable aux manifestations. Interdirez-vous les réunions de famille ? Mettrez-vous un sergent de ville à la porte d’un salon pour surveiller ce qui se passe au coin du feu ? On ne le fait pas en Espagne ; on ne le fait pas à Rome, où il y a plus de spirites et de médiums que vous ne le pensez. Il ne manquerait plus que cela pour faire grandir encore l’importance du Spiritisme.

Admettons maintenant l’interdiction légale des groupes, savez-vous ce que feraient ces Spirites que vous accusez de semer le désordre ? Ils diraient : « Respectons la loi ; dura lex, sed lex ; donnons l’exemple, et montrons que si nous prêchons l’union, la paix et la concorde, ce n’est pas pour nous transformer en fauteurs de trouble. Les sociétés organisées ne sont pas une condition nécessaire pour l’existence du Spiritisme ; il n’y a entre elles aucune solidarité matérielle qui puisse être brisée par leur suppression ; ce que les Esprits y enseignent, ils l’enseigneront tout aussi bien dans le tête-à-tête ; car le Spiritisme a ce privilège inouï d’avoir partout son foyer d’enseignement ; son signe de ralliement est l’amour de Dieu et du prochain, et pour le mettre en pratique il n’a pas besoin de réunions officielles, il l’étend sur ses ennemis comme sur ses amis. » Tout le monde peut-il en dire autant, et l’autorité n’a-t-elle pas trouvé plus d’une fois de la résistance là où elle aurait dû trouver le plus de soumission ? Si les Spirites étaient des gens aussi turbulents et aussi pervertis que vous le prétendez, pourquoi est-ce dans les centres où ils sont le plus nombreux que les fonctionnaires chargés du maintien de l’ordre ont le moins de peine, ce qui faisait dire à l’un d’eux que si tous ses administrés étaient Spirites, il pourrait fermer son bureau ? Pourquoi est-ce parmi les militaires spirites qu’il y a le moins de peines disciplinaires  ?

Et puis, vous ne songez pas qu’il y a maintenant des Spirites partout, du haut en bas de l’échelle sociale ; qu’il y a des réunions et des médiums jusque chez ceux dont vous invoquez l’appui contre nous. Vous voyez donc que votre moyen est insuffisant ; il faut en chercher un autre. — Nous avons les foudres de la chaire. — C’est bien, et vous en usez largement, mais ne voyez-vous pas que partout où l’on fulmine, le nombre des Spirites augmente ? — Nous avons les censures de l’Église et l’excommunication. — C’est mieux, mais vous frappez encore dans le vide ; encore une fois, le Spiritisme ne s’adresse ni à vous ni à ceux qui sont avec vous ; il ne va pas les chercher et leur dire : quittez votre religion et suivez-moi, vous êtes damnés si vous ne le faites pas ; non, il est plus tolérant que cela, et laisse à chacun sa liberté de conscience. Il s’adresse, ainsi que nous l’avons dit, à la masse innombrable des incrédules, des douteurs et des indifférents ; ceux-là ne sont pas avec vous, et vos censures ne peuvent pas les atteindre. Ils revenaient à vous, vous les repoussez, c’est tout simplement maladroit. Si quelques-uns des vôtres les suivent, c’est que vos arguments ne sont pas assez forts pour les retenir, et ce n’est pas avec la rigueur que vous y parviendrez. Le Spiritisme plaît parce qu’il ne s’impose pas et s’accepte par la volonté et le libre examen ; en cela il est de notre époque ; il plaît par sa douceur, par les consolations qu’il procure dans les adversités, par l’inébranlable foi qu’il donne dans l’avenir, dans la bonté et la miséricorde de Dieu ; de plus, il s’appuie sur des faits patents, matériels, irrécusables, qui bravent toute dénégation ; voilà le secret de sa propagation si rapide ; que lui opposez-vous ? Toujours la damnation éternelle, mauvais moyen par le temps qui court ; puis le travestissement de ses doctrines ; vous l’accusez de prêcher l’avortement, l’adultère et tous les crimes ; à qui pensez-vous en imposer ? ce n’est pas aux Spirites, assurément ; à ceux qui ne le connaissent pas ? Mais dans le nombre beaucoup veulent savoir ce qu’il en est de cette abominable doctrine ; ils lisent, et voyant qu’elle dit tout le contraire de ce qu’on lui fait dire, ils vous laissent pour le suivre, et cela sans qu’il aille les chercher.

La position, je le sais, est embarrassante ; car vous vous dites : Si nous parlons contre le Spiritisme, nous lui recrutons des partisans ; si nous nous taisons, il marche tout seul. Que faire alors ? Jadis on disait :

Laissez passer la justice du roi ; maintenait il faut dire : Laissons passer la justice de Dieu.

(La suite au prochain numéro.)


7. QUELQUES RÉFUTATIONS.

(2e article. – Voir le numéro de mai.)
[Revue de juin 1863.]

Toute idée nouvelle a nécessairement contre elle tous ceux dont elle froisse les opinions et les intérêts. Quelques-uns croient ceux de l’Église compromis, – nous ne le pensons pas, mais notre opinion ne fait pas loi, – c’est pourquoi on nous attaque en son nom avec une fureur à laquelle il ne manque que les grandes exécutions du moyen âge. Les sermons, les instructions pastorales lancent la foudre sur toute la ligne ; les brochures et les articles de journaux pleuvent comme la grêle, pour la plupart avec un cynisme d’expressions fort peu évangélique. C’est chez plusieurs une rage qui tient de la frénésie. Pourquoi donc ce déploiement de forces et tant de colères ? Parce que nous disons que Dieu pardonne au repentir et que les peines ne seront éternelles que pour ceux qui ne se repentiront jamais ; et parce que nous proclamons la clémence et la bonté de Dieu, nous sommes des hérétiques voués à l’exécration, et la société est perdue ; on nous signale comme des perturbateurs ; on somme l’autorité de nous poursuivre au nom de la morale et de l’ordre public ; on lui dit qu’elle ne fait pas son devoir en nous laissant tranquilles  !

Un intéressant problème se présente ici. On se demande pourquoi ce déchaînement contre le Spiritisme, plutôt que contre tant d’autres théories philosophiques ou religieuses bien moins orthodoxes ? L’Église a-t-elle fulminé contre le matérialisme qui nie tout, comme elle le fait contre le Spiritisme qui se borne à l’interprétation de quelques dogmes ?

Ces dogmes et bien d’autres n’ont-ils pas été maintes fois niés, discutés, controversés dans une foule d’écrits qu’elle laisse passer inaperçus ? Les principes fondamentaux de la foi : Dieu, l’âme et l’immortalité, n’ont-ils pas été publiquement attaqués sans qu’elle s’en soit émue ? Jamais le saint-simonisme,  †  le fouriérisme,  †  l’Église même de l’abbé Chatel  n n’ont soulevé tant de colères, sans parler d’autres sectes moins connues, telles que les fusionnistes, dont le chef vient de mourir, qui ont un culte, leur journal, et n’admettent pas la divinité du Christ ; les catholiques apostoliques qui ne reconnaissent pas le pape, qui ont leurs prêtres et évêques mariés, leurs églises à Paris et en province où l’on fait des baptêmes, des mariages et des enterrements. Pourquoi donc le Spiritisme, qui n’a ni culte ni église, et dont les prêtres ne sont que dans l’imagination, soulève-t-il tant d’animosités ? Chose bizarre ! le parti religieux et le parti matérialiste, qui sont la négation l’un de l’autre, se donnent la main pour nous pulvériser, c’est leur mot. L’esprit humain présente vraiment de singulières bizarreries quand il est aveuglé par la passion, et l’histoire du Spiritisme aura de plaisantes choses à enregistrer.


8. — La réponse est tout entière dans cette conclusion de la brochure du R. P. Nampon : n «  En général rien n’est plus abject, plus dégradé, plus vide de fond et d’attrait dans la forme que ces publications-là, dont le succès fabuleux est un des symptômes les plus alarmants de notre époque. Détruisez-les donc, vous n’y perdrez rien. Avec l’argent qu’on a dépensé à Lyon  †  pour ces inepties, on eût facilement fondé quelques places de plus dans nos hospices d’aliénés, encombrés depuis l’invasion du Spiritisme. Et que ferons-nous de ces brochures malsaines ? Nous ferons d’elles ce que le grand apôtre en fit à Ephèse  †  ; et par là nous conserverons au milieu de nous l’empire de la raison et de la foi, et nous préserverons les victimes de ces lamentables illusions d’une foule de déceptions dans la vie présente et des flammes de l’éternité malheureuse. »


9. — Ce succès fabuleux, voilà ce qui confond nos adversaires ; ils ne peuvent comprendre l’inutilité de tout ce qu’ils font pour enrayer cette idée qui glisse sous leurs embûches, se redresse sous leurs coups, et poursuit sa marche ascendante sans prendre souci des pierres qu’on lui jette. Ceci est un fait acquis, et constaté maintes fois par les adversaires de l’une et de l’autre catégorie, dans leurs prédications et dans leurs publications ; tous déplorent le progrès inouï de cette épidémie qui attaque même les hommes de science, les médecins et les magistrats. Il faut en vérité revenir du Texas pour dire que le Spiritisme est mort et qu’on n’en parle plus. (Voir la Revue de février 1863, page 41.)

Pour réussir, que faisons-nous ? Allons-nous prêcher le Spiritisme sur les places ? Convoquons-nous le public à nos réunions ? Avons-nous nos missionnaires de propagande ? Avons-nous l’appui de la presse ?

Avons-nous enfin tous les moyens d’action ostensibles et secrets que vous possédez et dont vous usez si largement ? Non ; pour recruter des partisans nous nous donnons mille fois moins de peine que vous n’en prenez pour les détourner. Nous nous contentons de dire : « Lisez, et si cela vous convient, revenez à nous » ; nous faisons plus, nous disons : lisez le pour et le contre et comparez. Nous répondons à vos attaques sans fiel, sans animosité, sans aigreur, parce que nous n’avons point de colères ; loin de nous plaindre des vôtres, nous y applaudissons, parce qu’elles servent notre cause. Voici entre des milliers une preuve de la force persuasive des arguments de nos adversaires. Un monsieur qui vient d’écrire à la Société de Paris pour demander à en faire partie, commence ainsi sa lettre : « La lecture de la Question du surnaturel, les morts et les vivants du P. Matignon, n de la Question des Esprits de M. de Mirville,  n de l’Esprit frappeur du docteur Bronson, et enfin de différents articles contre le Spiritisme, n’ont fait que me rallier plus complètement à la doctrine du Livre des Esprits, et m’ont donné le plus vif désir de faire partie de la Société Spirite de Paris pour pouvoir continuer l’étude du Spiritisme d’une manière plus suivie et plus fructueuse. »


10. — La passion aveugle parfois au point de faire commettre de singulières inconséquences. Dans le passage cité plus haut, le R. P. Nampon dit que : « Rien n’est plus vide d’attrait que ces publications dont le succès fabuleux, etc. » Il ne s’aperçoit pas que ces deux propositions se détruisent l’une par l’autre ; une chose sans attrait ne saurait avoir un succès quelconque, car elle ne peut avoir de succès qu’à la condition d’avoir de l’attrait ; à plus forte raison quand ce succès est fabuleux.

Il ajoute qu’avec l’argent dépensé à Lyon pour ces inepties, on eût facilement fondé quelques places de plus dans les hospices d’aliénés de cette ville, encombrés depuis l’invasion du Spiritisme. Il aurait fallu, il est vrai, fonder trente à quarante mille places, à Lyon seulement, puisque tous les Spirites sont des fous. D’un autre côté, puisque ce sont des inepties, cela n’a aucune valeur ; pourquoi donc leur faire les honneurs de tant de sermons, de mandements, de brochures ? A cette question d’emploi d’argent nous savons qu’à Lyon beaucoup de gens, mal pensants sans doute, se sont dit qu’avec les deux millions fournis par cette ville au denier de Saint-Pierre, on aurait pu donner du pain à bien des ouvriers malheureux pendant l’hiver, tandis que la lecture des livres spirites leur a donné le courage et la résignation pour supporter leur misère sans se révolter.

Le P. Nampon n’est pas heureux dans ses citations. Dans un passage du Livre des Esprits, il nous fait dire : « Il y a autant de distance entre l’âme de la bête et l’âme de l’homme, qu’entre l’âme de l’homme et l’âme de Dieu. (Nº 597) Nous avons mis : qu’entre l’âme de l’homme et Dieu, ce qui est fort différent ; l’âme de Dieu implique une sorte d’assimilation entre Dieu et les créatures corporelles. On conçoit l’omission d’un mot par inadvertance ou faute typographique ; mais on n’en ajoute pas sans intention ; pourquoi cette addition qui dénature le sens de la pensée, si ce n’est pour nous donner une couleur matérialiste aux yeux de ceux qui se contenteront de lire la citation, sans la vérifier dans l’original ? Un livre qui a paru peu avant le Livre des Esprits, et qui contient toute une théorie théogonique et cosmogonique, fait de Dieu un être bien autrement matériel, puisqu’il en fait un composé de tous les globes de l’univers, molécules de l’être universel qui a un estomac, mange et digère, et dont les hommes sont les mauvais produits de sa digestion ; et cependant pas un mot n’a été dit pour le combattre : toutes les colères se sont concentrées sur le Livre des Esprits : serait-ce donc parce qu’en six ans il est arrivé à la dixième édition, et qu’il est répandu dans tous les pays du monde ?

On ne se contente pas de critiquer, mais on tronque et dénature les maximes pour ajouter à l’horreur que doit inspirer cette abominable doctrine, et nous mettre en contradiction avec nous-même. C’est ainsi que le P. Nampon, citant une phrase de l’introduction du Livre des Esprits, page XXXIII, dit : « Certaines personnes, dites-vous vous-même, en s’adonnant à ces études ont perdu la raison. » Nous avons ainsi l’air de reconnaître que le Spiritisme conduit à la folie ; tandis qu’en lisant tout le paragraphe XV l’accusation tombe précisément sur ceux qui la lancent. C’est ainsi qu’en prenant des lambeaux de phrase d’un auteur on pourrait « le faire pendre » ; les auteurs les plus sacrés eux-mêmes n’échapperaient pas à cette dissection. C’est avec ce système que certains critiques espèrent donner le change sur les tendances du Spiritisme, et faire croire qu’il préconise l’avortement, l’adultère, le suicide, alors qu’il en démontre péremptoirement la criminalité et les funestes conséquences pour l’avenir.


11. — Le P. Nampon va même jusqu’à s’emparer des citations faites dans le but de réfuter certaines idées : « L’auteur, dit-il, appelle quelquefois Jésus-Christ Homme-Dieu ; mais ailleurs (Livre des Médiums, page 368), dans un dialogue avec un médium qui, prenant le nom de Jésus, lui disait : « Je ne suis pas Dieu, mais je suis son fils, » il réplique aussitôt :

« Vous êtes donc Jésus ? » Si, ajoute le P. Nampon, Jésus est appelé Fils de Dieu, c’est donc dans un sens arien, et sans être pour cela consubstantiel au Père. »

D’abord, ce n’est point un médium qui se disait Jésus, mais bien un Esprit, ce qui est fort différent, et la citation est précisément faite pour montrer la fourberie de certains Esprits, et tenir les médiums en garde contre leurs subterfuges. Vous prétendez que le Spiritisme nie la divinité du Christ ; où avez-vous vu cette proposition formulée en principe ?

C’est dites-vous, la conséquence de toute la doctrine. Ah ! si nous entrons sur le terrain des interprétations, nous pourrons aller plus loin que vous ne voulez. Si nous disions, par exemple, que le Christ n’était pas arrivé à la perfection, qu’il a eu besoin des épreuves de la vie corporelle pour progresser ; que sa passion lui a été nécessaire pour monter en gloire, vous auriez raison, parce que nous en ferions, non pas même un pur Esprit, envoyé sur la terre avec une mission divine, mais un simple mortel, à qui la souffrance était nécessaire pour progresser lui-même. Où trouvez-vous que nous ayons dit cela ? Eh bien, ce que nous n’avons jamais dit, ce que nous ne dirons jamais, c’est vous qui le dites.

Nous avons vu dernièrement, dans le parloir d’une maison religieuse de Paris, l’inscription suivante, imprimée en gros caractères et affichée pour l’instruction de tous : « Il a fallu que le Christ souffrît pour entrer dans sa gloire, et ce n’est qu’après avoir bu à longs traits dans le torrent de la tribulation et de la souffrance qu’il a été élevé au plus haut des cieux. » (Psaume 110, v. 7.) C’est le commentaire de ce verset dont le texte est : « Il boira dans le chemin l’eau du torrent, et c’est par là qu’il élèvera sa tête (De torrente in via bibet : propterea exultabit caput [Psalmorum]). » Si donc «  IL A FALLU que le Christ souffrît pour entrer dans sa gloire ; s’il N’A PU être élevé au plus haut des cieux que par les tribulations et la souffrance, » c’est qu’auparavant il n’était ni dans la gloire ni au plus haut des cieux, donc il n’était pas Dieu ; ses souffrances n’étaient donc pas au profit de l’humanité seule, puisqu’elles étaient nécessaires à son propre avancement. Dire que le Christ avait besoin de souffrir pour s’élever, c’est dire qu’il n’était pas parfait avant sa venue ; nous ne connaissons pas de protestation plus énergique contre sa divinité. Si tel est le sens de ce verset du psaume que l’on chante à vêpres, tous les dimanches on chante la non-divinité du Christ.

Avec le système des interprétations on va fort loin, disons-nous ; si nous voulions citer celles de quelques conciles sur cet autre verset : « Le Seigneur est à votre droite, il brisera les rois au jour de sa colère, »  ( † ) il serait facile de prouver qu’on en a tiré la justification du régicide.


12. —  La vie future, dit encore le P. Nampon, change entièrement de face (avec le Spiritisme). L’immortalité de l’âme se réduit à une permanence matérielle, sans identité morale, sans conscience du passé. »

C’est une erreur ; le Spiritisme n’a jamais dit que l’âme fût sans conscience du passé ; elle en perd momentanément le souvenir pendant la vie corporelle, mais « lorsque l’Esprit rentre dans sa vie primitive (la vie spirite), tout son passé se déroule devant lui ; il voit les fautes qu’il a commises et qui sont cause de sa souffrance, et ce qui aurait pu l’empêcher de les commettre ; il comprend que la position qui lui est donnée est juste, et cherche alors l’existence qui pourrait réparer celle qui vient de s’écouler. » (Livre des Esprits, nº 393.) Puisqu’il y a souvenir du passé, conscience du moi, il y a donc identité morale ; puisque la vie spirituelle est la vie normale de l’Esprit, que les existences corporelles ne sont que des points dans la vie spirite, l’immortalité ne se réduit pas à une permanence matérielle ; le Spiritisme, comme on le voit, dit tout le contraire. En le dénaturant ainsi, le P. Nampon n’a pas pour excuse l’ignorance, car ses citations prouvent qu’il a lu, mais il a le tort de faire des citations tronquées, et de lui faire dire tout le contraire de ce qu’il dit.


13. — Le Spiritisme est accusé, par quelques-uns, d’être fondé par le plus grossier matérialisme, parce qu’il admet le périsprit, qui a des propriétés matérielles. C’est encore une fausse conséquence tirée d’un principe incomplètement rapporté. Le Spiritisme n’a jamais confondu l’âme avec le périsprit, qui n’est qu’une enveloppe, comme le corps en est une autre.

Eût-elle dix enveloppes, cela n’ôterait rien à son essence immatérielle. Il n’en est pas de même de la doctrine adoptée par le concile de Vienne  †  en Dauphiné,  †  dans sa seconde session, le 3 avril 1312. Selon cette doctrine « l’autorité de l’Église ordonne de croire que l’âme n’est que la forme substantielle du corps ; qu’il n’y a point d’idées innées, et déclare hérétiques ceux qui nieraient la matérialité de l’âme. » Raoul Fornier, professeur en droit, enseigne positivement la même chose dans ses discours académiques sur l’origine de l’âme, imprimés à Paris en 1619, avec approbation et des éloges de plusieurs docteurs en théologie.

Il est probable que le concile, se fondant sur les faits nombreux de manifestations spirites visibles et tangibles rapportés dans les Écritures, manifestations qui ne peuvent être que matérielles, puisqu’elles frappent les sens, a confondu l’âme avec son enveloppe fluidique ou périsprit, dont le Spiritisme nous démontre la distinction. Sa doctrine est donc moins matérialiste que celle du concile.


14. —  Mais abordons sans hésiter l’homme de France qui est le plus avancé dans ces études. Pour constater l’identité de l’Esprit qui parle, il faut, dit M. Allan Kardec, étudier son langage. Eh bien ! soit. Nous connaissons par leurs écrits authentiques la pensée certaine et, par conséquent, le langage de saint Jean, de saint Paul, de saint Augustin, de Fénelon, etc., comment donc osez-vous attribuer dans vos livres à ces grands génies des pensées et des sentiments tout contraires à ceux qui resteront à jamais consignés dans leurs ouvrages ? »

Ainsi vous admettez que ces personnages n’ont pu se tromper en rien ; que tout ce qu’ils ont écrit est l’expression de la vérité ; que s’ils revenaient aujourd’hui corporellement ils devraient enseigner tout ce qu’ils ont enseigné jadis ; que revenant en Esprit, ils ne doivent renier aucune de leurs paroles. Cependant saint Augustin regardait comme une hérésie la croyance à la rondeur de la terre et aux antipodes. Il soutenait l’existence des incubes et des succubes, et croyait à la procréation par le commerce des hommes avec les Esprits. Croyez-vous qu’il ne puisse, à cet égard, penser, comme Esprit, autrement qu’il ne pensait comme homme, et qu’il professerait ces doctrines aujourd’hui ? Si ses idées ont dû se modifier sur certains points, elles ont pu le faire sur d’autres. S’il s’est trompé, lui, génie incontestablement supérieur, pourquoi ne vous tromperiez-vous pas vous-même, et faut-il, par respect pour l’orthodoxie, lui dénier le droit, disons mieux, le mérite de rétracter ses erreurs ?


15. —  Vous attribuez à saint Louis cette sentence ridicule, surtout dans sa bouche, contre l’éternité des peines : Supposer des Esprits inguérissables, c’est nier la loi du progrès. » (Livre des Esprits, nº 1007.)

Ce n’est point ainsi qu’elle est formulée. A cette question : Y a-t-il des Esprits qui ne se repentent jamais ? saint Louis a répondu : « Il y en a dont le repentir est très tardif, mais prétendre qu’ils ne s’amélioreront jamais, ce serait nier la loi du progrès et dire que l’enfant ne peut devenir adulte. » La première forme pourrait sembler ridicule ; pourquoi donc toujours tronquer et dénaturer les phrases ? Qui pense-t-on abuser ? ceux qui ne liront que ces commentaires inexacts ? Mais le nombre en est bien petit auprès de ceux qui veulent connaître à fond les choses sur lesquelles vous appelez vous-même l’attention ; or, la comparaison ne peut être que favorable au Spiritisme.


NOTA. Pour l’édification de tout le monde, nous recommandons la lecture de la brochure intitulée : Du Spiritisme, par le R. P. Nampon [Adrien Nampon], de la Compagnie de Jésus, chez Girard et Josserand, Lyon, place Bellecour, nº 30 ; Paris, rue Cassette, nº 5, en priant de vouloir bien lire dans le Livre des Esprits et le Livre des Médiums les textes complets, cités en abrégés ou altérés dans la brochure ci-dessus. [Voir aussi du P. Nampon Catholic doctrine as defined by the Council of Trent - Google Books.]



[1] [L’Église Catholique Française de Monseigneur Chatel.]


[2] Discours prêché dans l’église primatiale de Saint-Jean-Baptiste, en présence de Son Éminence le cardinal Archevêque de Lyon, les 14 et 21 décembre 1862, par le R. P. Nampon, de la Compagnie de Jésus, prédicateur de l’Avent. [Du Spiritisme. Par Adrien Nampon - Google Books.]


[3] [La Question du surnaturel ou la grâce, le merveilleux, le … par Ambroise Matignon - Google Books.]


[4] [Question des esprits: ses progrès dans la science…, Jules Eudes Mirville - Google Books.]


Il y a une image de ces articles dans le service Google - Recherche de livres (Revue Spirite 1863.) (Mai 1863.) — (Deuxième article.) (Juin 1863.)


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